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Chapitre VI

Renaissance d'un peuple oublié

Les Catuslogi

 

Eu

Le Tréport

Le Vieux-Rouen-sur-Bresle

Saint-Germain-sur-Bresle

Le Château-Hubault

 

Argument : Pourquoi Geoffroy de Monmouth aurait-il évoqué Rennes,

la capitale de la Petite-Bretagne actuelle ?

 

 

Approche du sujet

            L'étude de l'évolution comparée des formes écrites des noms de Rennes et de Rouen a permis de mettre en lumière et donc de commencer à comprendre les raisons de leur possible confusion par Geoffroy de Monmouth qui relatait un évènement qui lui était antérieur de près de huit cent ans à partir de documents incomplets ou devenus incompréhensibles tant les données géopolitiques avaient changé dans ce laps de temps. (1)

            A l'époque de Geoffroy de Monmouth, la Bretagne continentale avait déjà atteint ses limites actuelles depuis Erispoé, en 851. Geoffroy et ses commentateurs ont donc interprété sur le mode de l'a priori, considérant tout naturellement que, devant une référence à Redonum, prise pour Rennes, étant donné la situation d'alors de cette ville majeure en Bretagne, et qu'au surplus celle-ci avait hébergé des Lètes francs vers la fin du IVè et le début du Vè siècles, époque très proche de celle de Maxime, c'était à l'évidence de cette ville, à l'exception de toute autre, dont il pouvait s'agir à leur yeux à l'époque du débarquement de Maxime en Gaule. (2)

            Ce n'était pas cependant, il faut le souligner pour l'importance du propos, le cas de Nennius qui écrivait vers 820, car la (P)Bretagne du début du IXè siècle s'arrêtait alors seulement aux limites orientales des Curiosolites et des Vénètes, les territoires des Rhiedones et des Namnetes n'ayant été rattachés qu'en 851, sous Erispoé (3). Nennius ne pouvait donc pas décrire une situation qui lui a été postérieure et qu'il n'a donc pas pu connaître. On a là une raison largement suffisante pour comprendre et justifier son mutisme vis à vis de Rennes.

            Comme il est clair que la trajectoire par Rennes n'est strictement d'aucune utilité stratégique dans le cadre de l'expédition de Maxime et de Conan en direction de Paris, il s'est alors avéré indispensable de rechercher un autre site plus en rapport avec la logique de l'évènement et découlant autant que possible de la stratégie militaire. Cette recherche m'a donc conduit à évacuer de mon esprit le cas de Redoni / Rennes et de m'orienter sur Rotomagus / Rouen (sur Seine), nom dont les formes écrites intermédiaires présentent des ressemblances avec celles du précédent, ce qui m'a permis aussi de proposer une série de ports de la Manche entre Le Havre et le Tréport, qui pouvaient à mon avis répondre au Portus Caluosus / Calvosus, en pensant pouvoir rapprocher le nom de ce port de celui des Calètes. (4)

            Malgré cela, j'ai estimé que la recherche n'était pas achevée et que les conclusions n'étaient pas suffisamment précises, car il restait encore à étudier et à essayer d'élucider l'énigme d'Himbaldus, ce chef franc qui s'est opposé au débarquement de Maxime, toujours selon Geoffroy de Monmouth, et à propos duquel tout le monde a fait l'impasse en se réfugiant dans le principe facile qu'il ne pouvait s'agir que de légendes (5). J'ai alors pris contact avec Mlle Roy, des Musées Départementaux de Seine-Maritime qui, à ma question sur Himbaldus, m'a répondu textuellement, sur le mode amusé : " On ne connaît que lui ici !" (sic). Elle m'en avait dès lors trop dit ou pas assez, et c'est donc sur ce propos et les échanges de courrier qui ont suivi que j'ai commencé à regrouper le maximum de renseignements possibles concernant cet énigmatique personnage Himbaldus. C'est de cette manière que, de fil en aiguille, j'ai appris l'existence du Pagus Catuslogus, du Vieux-Rouen-sur-Bresle, de Saint-Germain-sur-Bresle, du Château-Hubault, et que j'ai complété et rectifié mes informations à propos d'Eu et du Tréport. (6)

            La première constatation qui s'est imposée alors est qu'il n'existe pas seulement un site nommé Rouen en Haute-Normandie, mais deux : Rouen (sur Seine), et Le Vieux Rouen sur Bresle.  Il paraît alors intéressant de savoir si la discussion à propos de l'un peut éventuellement nous éclairer à propos de l'autre.

 

 

Repérage géographique du Pagus Catuslogus

           L'histoire des Catuslogi a eu, le moins que l'on puisse dire, un cheminement curieux. La seule mention ancienne écrite que nous en ayons se trouve chez Pline l'Ancien qui indique seulement qu'il s'agit d'un peuple de la Belgique (7).

            Puis ce nom disparaît pendant plus de 1500 ans, jusqu'au jour où, en 1965, des archéologues font la découverte, au Bois-l'Abbé, près d'Eu, d'une inscription dédicatoire dans laquelle se trouve la mention "... PAGOCATVSLOV ...". Le Pagus Catuslogus est alors en train de ressusciter après un millénaire et demi de silence. (8)

            Le Pagus Catuslogus se trouve à cheval sur la Bresle. Ce petit fleuve côtier prend sa source près d'Abancourt, a proximité de la route gallo-romaine qui court de Poix-de-Picardie à Forges-les-Eaux, tronçon de la route d'Abbebille à Rouen, aux confins de la frontière entre les Bellovaci, les Ambiani, et les Caletes. Sur un parcours d'une soixantaine de kilomètres, dont la caractéristique est d'être marécageux et plein de méandres, il arrose successivement Aumale, Saint-Germain-sur-Bresle, Le Vieux Rouen sur Bresle, Senarpont, Nesle-Normandeuse, Blangy-sur-Bresle, Gamaches, Incheville, et Eu. Il n'a que peu d'affluents, parmi lesquels on peut tout de même citer, à droite : le Liger et la Vimeuse. La Bresle se jette dans la Manche entre Mers et Le Tréport.

            A l'époque gauloise, on la traverse probablement à gué à Eu, Blangy, Gamaches, et au Vieux-Rouen. Il est probable qu'à l'époque du Bas-Empire, ces gués sont déjà remplacés par des ponts. Son nom Bresle a fait l'objet de nombreuses discussions. Pour certains chercheurs, il est relativement récent dans l'histoire, puisqu'on le fait remonter aux environs de la fin du XIè siècle. Mais il semble cependant attesté que le nom primitif, au moins au niveau de l'embouchure était proche de Auwa, qui a donné précisément son nom à Eu, ancien chef-lieu de pagus des Catuslogi, tandis que le nom en amont de l'embouchure jusqu'à la source était proche du thème Bhr-w, qui figure sous la forme Phroudis, fleuve qui sépare l'Armorique de la Belgique. (9)

            Compte tenu que la localisation du pagus est récente, ses limites n'ont pas encore été parfaitement établies et font l'objet d'études passionnées de la part des chercheurs régionaux et locaux.

            La limite ouest, que d'autres appellent sud, est particulièrement intéressante, car elle n'est donc pas seulement la limite entre les cités des Ambiani et des Caletes, qui ne serait que d'un niveau local, mais aussi, par le fait, la frontière entre la Belgique IIème et la Lyonnaise IIè, d'où le vif intérêt qui lui est accordé du point de vue géopolitique régionale. Brigitte Beaujard propose que cette frontière suit, sur la rive droite de l'Yères, le sommet du plateau d'où descendent ses affluents. Il ne paraît pas nécessaire de la repousser jusqu'à la Scie. En effet, si la région entre Yères et Scie, identifié par certains comme le Talou médiéval, a pu comme le Vimeu appartenir à un peuple gaulois autonome, au Moyen Age elle dépend tout de même de l'évêque de Rouen, métropolitain de la Lyonnaise IIè.

            La limite côté est demeure plus incertaine, mais nous sommes portés à croire que le territoire englobe de fait le Vimeu, sous-pagus qui tire son nom de la rivière Vimeuse, seul véritable affluent de la Bresle du côté droit. (10)

            Le lecteur est invité à se reporter à la carte de synthèse territoriale du Pagus Catuslogus établie à partir des opinions ci-dessus présentées.

 

 

 

 

Repérage du Talou (en haut, à gauche du Pays de Caux)

Extraits de : Les Vikings et la Normandie, de Jean RENAUD

 

Le nom des Catuslogi

            Ce nom est basé sur l'association de deux mots celtiques : Catu + Slugi .

            La première partie, Catu-, a le sens de combat. Elle a été utilisée comme préfixe dans la composition de plusieurs noms de peuples celtiques désireux de faire valoir leur caractère guerrier. Outre les Catuslogi, on trouve aussi en Gaule les Caturiges (-riges = rois) au sens emphatique de Rois de la guerre, les Catalauni = les Valeureux, (Châlons-sur-Marne), et en Ile de Bretagne les fameux et déjà cités Catuvellauni (-vellauni = valeureux), pour désigner ceux qui sont valeureux au combat, sous entendu les meilleurs au combat.

            On la trouve également en composition plusieurs noms de personnes :

           Catumannos (Homme de combat); Catuvellaunos (Valeureux au combat); Catuvolcos (puissant au combat); etc. (11)

            La deuxième partie, -Slugi, a quant à elle le sens d'armée. Il semble que ce soit l'unique exemple d'utilisation de cette racine comme qualificatif ethnonymique.

            Ce nom se trouve en irlandais sous les formes slog, sluag, signifiant armée. Il a également donné naissance à sluaghghairm > slogan = cri de guerre. (12)

            Textuellement, le nom des Catuslogi, qui peut être considéré comme un doublet ou un pléonasme, signifie donc l'armée des guerriers, l'armée combattante. Compte tenu de la faible étendue territoriale de ce peuple, associé au fait que l'on n'a guère entendu parler de lui dans l'histoire, ce nom apparaît comme totalement emphatique et disproportionné. Mais dans le genre, il ne s'agit pas d'un cas unique, les Gaulois, comme leurs descendants les Français, étant des spécialistes en la matière.

 

Evolution possible du nom des Catuslogi.

            Comme les Catuslogi ont disparu très tôt de l'histoire sous leur nom pour être absorbés par les Ambiani, il est donc difficile d'affirmer les stades de l'évolution de ce nom, réduit à une utilisation seulement locale. Il est cependant possible de comparer son évolution théorique ou probable avec celle des autres noms comportant les mêmes racines dans les langues celtiques.

            La racine catu- a d'abord perdu le U final, et a donné à titre d'exemple le breton-moyen Kad, au sens de combat, avec son dérivé kadour = combattant.

            L'évolution ne s'est pas arrêtée là en ce qui concerne le breton, puisque l'on a aussi la forme évoluée du celtique Katumannos (homme de combat), par l'intermédiaire de Kad-man, au stade actuel de Cavan, qui est peut-être le nom d'une commune de la région de Lannion, en pleine zone trégorroise bretonnante (étymologie cependant concurrencée par *cavan- : chouette).

            Dans les Alpes, le nom des Caturiges est passé à Catorigas en 333. Le C s'est chuinté en Ch- ; le T a disparu, comme en breton. Ce qui a fini par donner le nom actuel de la commune de Chorges, entre Gap et Embrun.

            En Champagne, le nom des Catalauni a subi une évolution très proche des précédentes : chuintement du C en Ch, disparition du T, pour aboutir à la forme actuelle de Châlons-(sur-Marne). A noter du reste que le nom de la province, Campania, est également devenu Champagne, par chuintement de la consonne initiale.

            A propos de la racine -slugi, constituant la deuxième partie du nom nous avons vu le correspondant gaélique sluagh = armée. Mais le brittonnique a eu une autre évolution, du fait tout d'abord du contact avec la langue gallo-romaine, puis du contact avec les populations germaniques, puis scandinaves. Le S est d'abord devenu muet, avant de disparaître totalement. Quant au G, c'est une lettre dont l'évolution n'est pas encore terminée, puisqu'on la trouve mouillée (y, ye, lh ...) ou tout simplement élidée (h, 'h, '..). En langue galloise, le mot a abouti à Llu = armée.

            Ainsi, quand on approche les racines de leurs évolutions respectives constatées pour d'autres mots, on aboutirait à une métamorphose comme celle-ci :

Catu- Slog (us)

Kad- Slo'u

Ca-'lou

Il reste donc à découvrir une forme évoluée du nom en toponymie pour confirmer l'hypothèse.

 

 

EU

            Aujourd'hui, Eu est une petite ville de 9000 habitants environ, chef-lieu du canton le plus septentrional de la Seine Maritime, dans l'arrondissement de Dieppe. A l'époque du Bas-Empire romain, elle est le chef-lieu du Pagus Catuslogus, pays intégré dans la cité des Ambiani.

            L'étymologie de son nom est discutée entre les partisans d'Augusta, qui la désignerait volontiers comme une ville impériale, sous le vocable de l'empereur, et les partisans de Awa, nom probable antique de la rivière Bresle, ou du moins de son embouchure. Si le site existait avant l'époque romaine, comme semble l'indiquer le tracé des anciens chemins et la présence d'un gué à cet endroit, il est probable qu'elle devait porter un autre nom que celui d'Augusta. A défaut de la connaître, on peut effectivement penser à un nom basé sur celui de l'hydronyme. Le cas n'est pas rare, et les exemples sont assez nombreux. Si cette ville a pu être qualifiée d'Augusta, ce qu'il faudrait encore prouver, cela ne remonte probablement pas plus haut que le IIIè siècle. Mais le cas n'est pas impossible, puisqu'il semble être attesté par le lieu-dit Oust extrêmement proche au sud d'Eu, du même côté de la rivière. Ce nom Oust peut effectivement être issu d'une forme Augusta, si on le compare à d'autres formes évoluées de ce même nom. Il s'agit là alors d'une coïncidence inattendue de deux noms qui auraient évolué dans un sens commun, sous influence paronymique, c'est-à-dire attraction de l'un par l'autre. (13)

            L'intérêt des historiens et des archéologues pour le site d'Eu a été ranimé par la découverte, en 1965, du théâtre du Bois l'Abbé et de la fameuse inscription Pago Catuslou, datée du IIIè siècle, déjà relatée ci-dessus.

 

 

Le Tréport et Mers.

            Si aujourd'hui ces deux communes sont séparées par une aberration administrative, le Tréport se trouvant à l'ouest de la Bresle, dans le département de Seine Maritime, et Mers se trouvant au nord de la Bresle, dans le département de la Somme, on ne peut toutefois pas les dissocier dans la cadre de l'histoire du Bas-Empire romain, car elles faisaient alors toutes deux partie intégrante des Catuslogi, à l'embouchure de la Bresle. Il est vrai pourtant, que l'histoire a été plus généreuse à l'égard de la première qu'à l'égard de la seconde, dont on n'a guère entendu parler.

            Ce qui a fait que le Tréport a intéressé les historiens, c'est que l'on a  beaucoup pensé que sous ce nom se dissimulait le port nommé Ulterior Portus par Jules César, lors de sa première expédition contre l'Ile de Bretagne. Cette identification semble être aujourd'hui rejetée unanimement, au profit d'un sens plus restreint de port ultérieur par rapport à Eu. (14)

 

 

Le Vieux-Rouen-sur-Bresle et Saint-Germain-sur-Bresle.

            La commune du Vieux-Rouen-sur-Bresle et celle de Saint-Germain-sur-Bresle forment un couple indissociable, tant du point de vue géographique que du point de vue historique. Si elles sont actuellement séparées administrativement par la rivière Bresle, qui constitue la limite entre la Normandie et la Picardie du point de vue provincial, et entre la Seine Maritime et la Somme du point de vue départemental, il n'en reste pas moins qu'elles étaient auparavant toutes deux situées dans le Pagus Catuslogus et qu'elles constituaient probablement à cette époque une entité territoriale unique. Ce couple se situe à 37 km au sud-est du Tréport, et à 7 km au nord d'Aumale. Le site consiste en une basse et assez large vallée fluviale, Le Vieux-Rouen se trouvant à l'ouest, en partie basse, et Saint-Germain se trouvant à l'est, sur une légère montée. Il se trouve à proximité de la route reliant l'embouchure de la Bresle à Beauvais et à Paris.

Le Vieux-Rouen-sur-Bresle.

            Les formes anciennes écrites du nom de Vieux-Rouen-sur-Bresle dont j'ai pu avoir connaissance sont, de façon probablement incomplète : de Veteri Rothomago (1248), Vetus Rothomagus (Xème s.), Vié Roen (XIIIème s.).

            Comme on peut l'imaginer, l'étymologie de ce nom a largement été débattue par les historiens de Normandie et de Picardie. (15)

            Pour la première partie du nom : Vieux, on a très souvent supposé une origine en Vetus, désignant un gué très ancien, ou un village ancien près du gué, en insistant donc sur l'ancienneté du site. Il a été également proposé une étymologie en Via-Rothomagus, pour désigner la route de Rouen, en venant d'Amiens. Il a aussi été proposé une origine en Vicus, mot latin désignant un village, passée à Vieux par attraction du mot français. Plus récemment, il a été proposé une étymologie à partir du gaulois vadus = gué, pour désigner le gué lui-même, qui est à l'origine du peuplement de l'endroit.

            La deuxième partie, Rothomago, ou Rothomagus, même si elle provoque moins de débat sur la forme, l'avis général étant qu'il s'agit d'un nom identique avec une évolution identique à celui de Rouen (sur Seine), provoque tout de même un débat sur le fond. Là où certains veulent voir un ancien gué situé au passage de la rivière Bresle par une route reliant Samarobriva / Amiens à Rotomagus / Rouen, d'autres voient seulement un champ large, une plaine, située près du gué, le mot étant alors basé sur ritus = gué, et magos = terrain ouvert, et serait donc en quelque sorte un doublet de vadus / Vieux.

            L'hypothèse basée sur Via = route (de Rouen-sur-Seine) me semble difficile à soutenir car il faut souligner, d'une part que la route d'Amiens à Rouen ne passe pas au Vieux-Rouen-sur-Bresle mais à 15 km plus au sud au carrefour de Saint-Clair (voir toponyme voisin : Carroix = Carrouge = quadruvium = carrefour), et que celle d'Abbeville à Rouen d'autre part passe à 13 km plus au nord, à Blangy-sur-Bresle.

            De la même façon, mais pour des raisons linguistiques liées à la politique, il me semble difficile de soutenir l'idée d'un doublet du gaulois ritus par un autre mot gaulois vadus, au sens de gué. Il est à remarquer en effet que les doublets de gaulois sont rares, car cette opération semble à la fois inutile et illogique. Lorsqu'il y a eu doublet de gaulois, cela a été, après la conquête des Gaules, par un mot correspondant latin ayant un sens voisin de celui de la racine gauloise. Cependant, il est à noter qu'en dehors de quelques cas bien connus, le gaulois briva a quasiment toujours cédé la place au latin pons, pour devenir Pont- en composition de noms de lieux désignant des passages de rivières, ce qui a eu pour effet, précisément, d'éliminer les doublets.

            C'est surtout du point de vue archéologique que Le-Vieux-Rouen-sur-Bresle est devenu intéressant. En effet, lors d'une prospection aérienne en 1973, Roger Agache a découvert au bout de son objectif photographique et mis en évidence l'existence des vestiges d'une villa gallo-romaine d'une réelle importante, située un peu à l'ouest du village actuel du Vieux-Rouen, dans l'herbage de Moymont (ou Moyenmont). Cette photographie, qui est devenue un modèle de référence en matière d'archéologie aérienne, figure désormais dans tous les manuels d'archéologie de la région. Les sondages qui ont été réalisés en 1975 sous la direction de Marie-José Huillion ont permis de dater cette villa du IVè siècle. Plusieurs commentateurs, au vu de son ampleur, n'ont pas hésité à la qualifier de palais, et on a même envisagé à son propos la possibilité de correspondre à une villa fiscale et royale où aurait séjourné le roi Charles le Chauve (près d'une chapelle dédiée à Saint Germain). (16)

 

Le Vieux-Rouen-sur-Bresle : la Villa Himbaldus

Photographie aérienne par Roger AGACHE en 1973.

Cette photographie appartient aux Services archéologiques régionaux

On peut la trouver dans : 

De la Gaule à la Normandie. 2000 ans d'histoire. 30 ans d'archéologie. Publication des Musées et Monuments départementaux de la Seine-Maritime.

La Haute-Normandie à l'époque gallo-romaine. Publication de Etudes Normandes. Brigitte BEAUJARD. 1976.

 

Saint-Germain-sur-Bresle.

            Le site originel de Saint-Germain correspond à un ancien petit oratoire dédié à une divinité païenne, protectrice probable des passages à gué. Ce site, comme nous l'avons vu, est en relation étroite avec le village du Vieux-Rouen, situé sur la berge opposée. L'intérêt de citer la commune de Saint-Germain n'est pas archéologique, mais hagiographique.

        Un texte connu sous le titre Vie de Saint Germain de Grande Bretagne, dit Saint Germain à la Rouelle et Saint Germain d'Ecosse ou l'Escossoys nous apprend que ce personnage Germanus / Germain, jeune breton ordonné prêtre par Saint Germain d'Auxerre, en Ile de Bretagne, se décide à passer en Gaule, aux environs de 448. Il arrive semble-t-il au port de Direth (auj. Diélette), près de Flamanville, dans le Cotentin. Là, il fait la rencontre d'un préfet nommé Maximien dont il devient ami. Il reste dans ce pays trois mois, occupé à évangéliser et à convertir la population au christianisme, avant de s'en retourner dans l'Ile.

            Décidé à oeuvrer en Gaule, il passe à nouveau et aborde cette fois-ci en un lieu nommé Mogdunum / Magdunum, site non encore identifié, et se dirige vers le cours moyen de la Bresle. Voici ce qu'en dit son biographe, Dom Laporte :

            " Sur cette rivière, qui séparait la Lyonnaise des Belgiques, les autorités gallo-romaines avaient installé plusieurs hommes de guerre francs ; l'un d'eux nommé Sonnhard 'fort par le Soleil' avait reçu son lot sur la rive droite, au confluent de la Bresle et du Liger, sur lequel il avait bâti le pont qui a fait donner son nom au village de Sénarpont. A une lieue et demie en amont, et sur la rive gauche, l'ancienne agglomération gauloise de Vieux-Rouen, assez importante par sa situation, et qui devait garder autour de son temple de Jupiter, sans doute le Taranis gaulois, de nombreux idolâtres, était tombée dans le lot du Franc Chuchobald 'efficace par l'intelligence', ' le tyran Hubaud' qui a laissé une mémoire funeste jusqu'à Aumale. Saint-Germain, dont on retrouve le souvenir dans la région, aux Essarts-Varimpré et à Mortemer-sur-Eaulne, avait sans doute installé son quartier général dans les éclaircies de cette vaste forêt, et poussait ses raids pacifiques vers ces cantonnements, et ceux d'autres Barbares leurs voisins. Il s'était fait, sinon un converti, du moins un ami, de Sonnhard; mais Hubaud, excité peut-être par les païens gallo-romains, s'était montré intraitable, et St Germain lui ayant bien probablement reproché avec la vigueur apostolique des hommes de sa race, des actes de violence et d'impudicité, s'était semble t-il vu interdire Vieux-Rouen sous peine de mort. Les nouveaux occupants barbares n'hésitaient pas à usurper sur leurs domaines les droits de justice, comme le faisait déjà l'aristocratie gallo-romaine..."

            Ce qui doit arriver arrive ! Germain est assassiné sur ordre de Chuchobald, à proximité du Vieux-Rouen, le 6 des Nones de Mai ( = 02 mai ) de l'an 480. Son corps est transporté sur le domaine de Sonnhard, son ami, et enterré en bordure de le route de Beauvais à Eu, c'est à dire sur le site actuel de Saint-Germain-sur-Bresle.

            Avec cette biographie, qu'il faut bien entendu considérer avec beaucoup de précaution parce que probablement incomplète et confuse, nous sommes en présence de plusieurs indices qui vont curieusement dans le sens de notre quête sur Maxime.

            Nous y trouvons en effet un premier personnage qui semble jouer un rôle politique ou administratif localement important, qualifié de préfet, et nommé Maximien (Maximinus), qui reçoit un représentant chrétien venant de l'Ile de Bretagne. En d'autres circonstances, ce nom a été très souvent comparé à ceux de Maxime (Maximus) et de Maxence (Maxentius), et l'avis des chercheurs qui ont abordé ce sujet est qu'il y a pu y avoir ainsi de nombreuses confusions (17).

            Nous y trouvons ensuite un lieu important dont le nom semble être basé sur un Roto-magus évolué en Roen et Rouen, et sur le territoire duquel se trouve un édifice important ressemblant à un palais, c'est à dire à la demeure d'un responsable très important de la région.

 

 

Le Château-Hubault.

            Nous savons désormais, par la biographie de ce saint, qu'un personnage important, qui est manifestement investi de pouvoirs politiques et militaires, et qui répond à un nom en Himbaldus ou Chuchubald, est attaché à ce secteur du cours de la Bresle, où se trouve un palais non moins important daté de la même époque.

            La question qui se pose désormais est de savoir si l'on peut trouver dans la toponymie locale un écho au nom de ce personnage important.

            Une réponse se trouve sur la commune de Saint-Germain-sur-Bresle : il s'agit précisément du Château-Hubault.

            Il s'agit, selon Hector Mollo,

            " ... d'une forteresse entourée de fossés profonds ...'.

            Cette mise au point est confortée par l'idée émise par les Bollandistes

            " ... que le tyrannique seigneur de Vetus-Rothomagus possédait à ce moment ... un château muni de tours ... allusion (?) aux vestiges de la villa antique qui subsistait certainement encore en élévation".

            Cette identification présente des avantages réels et non négligeables pour l'avancement de notre étude. Le site se trouve :

            - à proximité des deux routes gallo-romaines les plus courtes pour rejoindre la Manche à Paris : Saint-Valery-sur-Somme et Le Tréport;

            - à proximité de Saint-Valery-sur-Somme, Abbeville et Amiens, qui sont des sites prééminents dans les communications maritimes et commerciales entre la Gaule Belgique et l'Ile de Bretagne;

            - à proximité du site de la villa / palais gallo-romaine du Vieux-Rouen-sur-Seine, qui peut discuter son nom avec ceux de Rouen et de Rennes;

           - à la limite sud du territoire attribué aux Francs en Gaule belgique.

 

 

Le réseau routier gallo-romain interne du Vimeu

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