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Chapitre V

Les voies de communication terrestres

entre le littoral de la Manche et Lutecia / Paris

 

 

Le réseau routier gallo-romain dans le nord de la Gaule.

            L'organisation du réseau routier romain en Gaules est l'œuvre de Marcus Vipsanius Agrippa, entreprise à partir de 27 avant J.C. Quatre cents ans plus tard, à l'époque de Maxime, ce réseau routier est bien entendu déjà très avancé, même s'il  n'est pas entièrement terminé. (1)

            Strabon nous explique le schéma directeur de ce réseau :

            " Lugdunum occupant le centre de la Celtique, dont cette ville est en quelque manière la citadelle par sa situation au confluent des fleuves et à proximité des différentes parties du pays, Agrippa en a fait le point de départ des grandes routes : celle qui traverse les Monts Cemmènes et aboutit chez les Santones et en Aquitaine; celle du Rhin; celle de l'Océan, qui est la troisième et qui mène chez les Bellovaques et les Ambiani; enfin celle qui conduit en Narbonnaise et au littoral massaliotique et qui est la quatrième " (2)

            Celle qui nous intéresse, bien entendu, est cette fameuse troisième route d'Agrippa, dite de l'Océan, qui désigne ici la Manche et la Mer du Nord : "Les deux voies de l'Océan et de la Mer du Nord, qui se rejoignaient à Amiens, marquaient le point de départ d'un véritable nord-sud de la Préhistoire et de la période gallo-romaine vers Paris et la Méditerranée". (3)

 

La route de l'étain

            Les historiens de la Petite Bretagne évoquent très souvent la question de cette fameuse route de l'étain, de la Méditerranée aux îles britanniques, en passant du Golfe du Lion au Golfe de Gascogne par voie terrestre de Narbonne (oppidum de Montlaurès) à Toulouse puis Bordeaux, puis de là par voie maritime à la Pointe du Raz et aux îles Cassitérides. (4)

            En fait, cette référence concerne la période de l'Age de Bronze, que l'on date de 1800 à 800 avant J-C environ, et que l'on décompose en trois périodes :

            - Bronze ancien : 2000 à 1500 avant J-C;

            - Bronze Moyen : 1500 à 1200 avant J-C;

            - Bronze final : 1100 à 800 avant J-C. (5)

            L'époque suivante, que l'on appelle l'Age de Fer, doublée de la conquête romaine, marque le déclin de cette voie de communication maritime (6). En effet, on constate que peu de temps après l'adhésion de l'ensemble des Gaules à l'empire romain, le schéma du transport de l'étain de (G)Bretagne se trouve nettement modifié.

            L'argument repose sur Strabon, qui donne pour secteur privilégié le golfe d'Ambianie, de Boulogne-sur-Mer à l'embouchure de la Seine :

            " ... la Manche occidentale est peu pratiquée; la traversée se fait au plus court à partir de Boulogne et de son phare dressé par Caligula; elle n'est que le prolongement des routes terrestres venant de Lyon et Cologne." (7)

            " ... l'étain ... était acheminé en un mois du Pas-de-Calais à l'embouchure du Rhône avec des étapes quotidiennes d'une trentaine de kilomètres ! " (8)

            - une route importante de l'étain en provenance de l'Ile de Bretagne, transitant par Saint-Valery-sur-Somme, gagnait Paris en passant par Marseilles-en-Beauvaisis, Beauvais, et Saint-Denis. (9)

            Bien entendu, il serait abusif de dire que si le commerce de l'étain par voie maritime a peu à peu régressé, il aurait totalement disparu à l'extrême ouest de la Gaule et de l'Espagne. Il n'en reste pas moins que dès l'apparition de l'Age de Fer, contemporaine des dernières migrations celtiques et de l'extension de l'empire romain vers le nord-ouest, la route de l'étain des îles britanniques passe désormais par le Pas-de-Calais et le golfe d'Ambianie.

 

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Le réseau routier entre Amiens et la Mer de Bretagne

            Jules Lion indique trois périodes pour les routes d'Amiens à la mer, au temps de César : (10)

            - Amiens / Cap Blanc-Nez, par Montrelet, Mézerolles, Ligny, Anvin, Prédefin, Thérouanne, Tournehem, Guines;

            - Tournehem / Lillebonne, par Alquines, Montreuil-sur-Mer, Waben, et la Baie de Somme.

            On peut dire toutefois que les meilleures études récentes concernant les voies stratégiques, depuis la conquête romaine jusqu'au Vè siècle après J-C, à partir d'éléments archéologiques, sont celles d'Alphonse Leduque pour l'Ambianie et de Roland Delmaire pour la Morinie, les deux étant complémentaires :

            - d'Amiens / Rouen, (11)

            - d'Amiens / Dieppe, (12)

            - de Thérouanne à Arras, par Camblain-Châtelain, Houdain, et le passage de la Clarence (13); j'ajoute pour mieux la repérer : Estrée-Blanche (Strata), Divion, Rebreuve, Estrée-Cauchy (Strata), Camblain-l'Abbé, et l'abbaye de Mont-Saint-Eloi, avant de joindre Arras. (JCE)

            - de Thérouanne à Amiens : voie double selon A.Leduque (14)

                . voie principale : par Erny-Saint-Julien, Heuchin, Anvin, Saint-Pol-en-Ternoise, Frévent, Canteleux, la citadelle de Doullens, la Vicogne, et Villers-Bocage, avant de joindre Amiens. (JCE)

                . voie secondaire : idem jusqu'à Saint-Pol-en-Ternoise, puis Estrée-Wamin (Strata), Lucheux, Pomméra, Thièvres (où elle rejoint la routed'Amiens à Arras)

            - de Thérouanne à l'embouchure de la Somme, par Nielles, Bomy, Beaumetz-lès-Aire, Verchin (passage de la Lys), Blangy-sur-Ternoise, Marconne (près Hesdin, passage de la Canche), Tollent / La Boisle (passage de l'Authie), Abbeville. (15)

            - de Thérouanne à Amiens (TP), par Anvin et Frévent, Mézerolles, Autheux (16)

                - en passant par Thièvres / Teucera; (17) (TP).

                - en passant par Auxy-le-Château, Vieil Hesdin, Lugy; ??? (18)

            - de Boulogne à Amiens, (Voie de l'Océan), par Auxy-le-Château, Vieil-Hesdin, Huqueliers, Desvres; (19)

            Pour une grande partie d'entre elles, ces routes stratégiques seront reprises à l'époque mérovingienne, sous le nom de Chaussées Brunehaut, (20)

 

Schéma extrait de Esquisse de topographie historique sur l'Ambianie

par Albert LEDUQUE. 1972

NB : la route en tireté de Caubert à Blanguy, ainsi que les noms de Blangy et Vieux-Rouen-sur-Bresle ont été rajoutés par JC EVEN

 

Le réseau routier entre Paris et la Mer de Bretagne.

            De Wissant à Paris, via Beauvais ou Amiens, selon deux itinéraires du XIIIè siècle donnés par A.Leduque. Trajet à parcourir : 225 km environ par : Boulogne-sur-Mer, Montreuil, Maintenay, Crécy, Saint-Riquier, Airaînes, Poix, Oudeuil, Beauvais, Beaumont-sur-Oise, et Saint-Denis. (21)

            De Boulogne-sur-Mer à Paris via Amiens, le trajet est de 215 km environ.

            De Quentovic (embouchure de la Canche) à Paris via Amiens, la distance est de 185 km environ.

              D'Abbeville à Paris, il y a trois itinéraires possibles :

                1- par Beauvais, via Amiens : 155 km environ.

                2- par Beauvais, via Poix-de-Picardie : 140 km environ.

                3- par Beauvais, via Blangy-sur-Bresle, Senarpont, Marseilles-en-Beauvaisis : 140 km environ.

            De Saint-Valery-sur-Somme à Paris la distance à parcourir est de 155 km environ, dans les mêmes conditions. La route traverse d'abord le Vimeu en diagonale nord-sud, de Saint-Valery-sur-Somme à Senarpont, en passant par Arrest, Valines, Frettemeule, Le Translay, et Rambures. A Senarpont, elle reçoit la route venant de Mers / Le Tréport. Puis de Sénarpont, lieu de passage du confluent de la Bresle et du Liger, elle file en droite ligne, sur 60 km environ, sur Beauvais, en passant par les grands carrefours gallo-romains du Coq gaulois et du Camp d'Or en Saint-Clair, puis Marseille-en-Beauvaisis. On remarquera au passage les toponymes Fouilloy et Saint-Thibault-en-Chaussée. Elle est repérée sous le n° XVI A par A.Leduque (22). Cette route semble avoir été connue et utilisée depuis fort longtemps puisqu'on la donne aussi comme l'une des routes principales du commerce de l'étain entre l'ïle de Bretagne et le coeur de la Gaule et la Méditerrannée, avant de devenir une route du chasse-marée dès le Moyen-Age. (23)

            De Eu / Le Tréport, la route longe d'abord la Bresle par la rive droite, par Gamaches et Foucaucourt. Elle rejoint la route de Saint-Valéry-sur-Somme / Paris à Senarpont par Roteleux. Considérant qu'il s'agit d'un diverticule de la précédente, A.Leduque lui attribue le n° XVI B. A partir de là, le circuit est le même que le précédent, n° XVI A. Distance à parcourir : 145 Km environ. (24)

            De Dieppe, par Neufchâtel-en-Bray, le carrefour de Pierrement, Beauvais, Saint-Denis : 150 km environ.

            De Dieppe, par Rouen et Pontoise : 160 km environ.

            De Fécamp, par Fauville, le Poteau, Rouen, et Pontoise : 165 km environ.

            D'Harfleur :

                - par Gainneville, Saint-Aubin-Routot, Saint-Romain-de-Colbosc (route nord), Bolbec, Lanquetot, Touffreville-la-Corbeline, Fréville, Blacqueville, Barentin, Rouen, et Pontoise : 175 km environ;

                - par Gainneville, Saint-Aubin-Routot, Saint-Romain-de-Colbosc (route sud), Lillebonne, Caudebec, ???, Saint-Wandrille ?, Rouen, et Pontoise : 180 km environ.

 

 

 

 

Le réseau parallèle à la Manche

            A ce réseau routier, en étoile, rejoignant l'Océan aux capitales gauloises du nord qui, pour celles qui nous concernent sont Rouen, Beauvais, Amiens, Paris, s'ajoute le réseau routier transversal, d'une capitale de cité à l'autre, d'une agglomération à l'autre. Contrairement au premier, ce réseau routier transversal apparaît comme une organisation planifiée de l'organisation interne de l'Empire. Bien entendu, les travaux n'ont pas été réalisés en un seul jour. Ils ont duré plusieurs années, voir plusieurs dizaines d'années. Certains chantiers de routes n'ont même pas été terminés, du fait même de la déliquescence puis de la disparition de l'Empire.

            Parmi ces routes, nous devons citer celles qui relient les Bouches de la Seine à la Baie de Somme (25) :

            - la route côtière de Dieppe à Saint-Valery-sur-Somme, par Eu, indiquée sur la Table de Peuntinger; (26)

            - Amiens - Dieppe, par Airanes et Gamaches; (27)

            - Amiens - Dieppe, par Molliens-Vidame, Saint-Léger-sur-Bresle (au sud de Senarpont), Foucarmont, Londinières, etc (28)

            - Amiens - Rouen. Il s'agit d'un cas très intéressant du fait que cette route n'a pas été achevée. Celle-ci affecte d'abord l'aspect d'une route parfaitement rectiligne, dont le point de départ est précisément Amiens. Elle se dirige ouest-sud-ouest vers Poix-de-Picardie, et après un parcours de 55 km, entre le carrefour de Pierrement et Forges-les Eaux, s'arrête brutalement en un lieu-dit Le Bout des rues, sur la commune de Gaillefontaine, "... avec un amoncellement sans ordre de matériaux ... (blocs de silex et de grès)" (29). On se trouve à cet endroit précis tout près de la source de la Béthune / Telle, rivière éponyme du Talou. Il n'est guère difficile, compte-tenu du tracé rectiligne de la partie construite, de s'imaginer le tracé théorique des ingénieurs romains, puisque l'alignement tombe sur le Mont Saint-Denis, puis en ligne droite en plein coeur du Rouen gallo-romain. Tout au plus y aurait-il eu un contournement probable en amont de la source du Crèvon. On peut noter aussi sur cette route, avec attention, un lieu-dit en Brettencourt (tout près de Frettemolle), les carrefours de Saint-Clair (tout près de Romescamp), et Pierrement.

 

Les routes du Chasse-marée

            Même si cela peut paraître surprenant au premier abord, il est intéressant en effet de se pencher sur cas particulier des Chasse-marées, qui désignent globalement les convois de poisson frais pêché dans la Manche en direction des grandes villes de l'intérieur : Amiens, Beauvais, et bien entendu Paris, dans le cas qui nous concerne.

            Le raisonnement est d'une simplicité toute élémentaire : tout le monde sait bien que le poisson n'est pas un produit durable, qu'il est vite avarié, et que dès qu'il est pêché il doit impérativement être soit mis en chambre froide pour sa conservation, soit être livré au plus vite à son destinataire afin d'être encore aussi frais que possible dans l'assiette de son consommateur.

            Comment faire à l'époque gallo-romaine, quand le principe de congélation n'était pas encore connu, pour que le poisson pêché en Manche arrive frais et consommable à Paris ? La réponse est également simple : aller au plus vite et au plus court, c'est-à-dire utiliser autant que possible la ligne droite. C'est exactement la même démarche que celle d'un putschiste au moment de son débarquement : s'emparer au plus vite des sites de commandement.

            La réponse nous est donnée par la carte des routes des Chasse-marée de Lucette Fontaine-Bayer. Le port de marée le plus proche de Paris est le Tréport, à l'embouchure de la Bresle. La route suivie passe par Senarpont, Neuville-Coppegueule, le Coq-Gaulois, Saint-Clair, Brombos, Marseilles-en-Beauvaisis, Saint-Omer-en-Chaussée (Strata), Beauvais, Chambly, Beaumont-sur-Oise, et Saint-Denis.

            Le chemin provenant de Saint-Valery-sur-Somme rejoint le précédent à Senarpont (30).

            " A quinze kilomètres à l'heure environ, relais compris, le chasse-marée mettait, s'il venait du sud de la Picardie, environ onze heures et demie pour parcourir ses cent soixante ou cent soixante-dix kilomètres..." (31)

            Ce trajet est quasiment identique à celui des routes romaines décrit au paragraphe précédent, ainsi qu'à la route des Postes de Paris au Tréport.

 

Routes du Chasse-marée

Carte extraite de l'étude : Le Chasse-marée de Picardie sur la route du poisson.

Lucette FONTAINE-BAYER. 

 

Les routes des Postes et des diligences

            Dans l'édition de 1855 du Guide de l'étranger à Londres, J.W Lake donne comme routes principales entre Paris et les ports de la Manche :

            - Paris / Calais, par Clermont, Breteuil, Amiens, Doulens, Aire, Saint-Omer, Ardres, et Calais; Douvres à 8 lieues.

            - Paris / Boulogne, par Beauvais, Marseilles-en-Beauvaisis, Poix, Abbeville, Montreuil, et Boulogne-sur-Mer; Douvres à 10 lieues. (puis Boulogne / Calais en direct).

            - Paris / Dieppe, par Pontoise, Gisors, Gournay, Forges, Bois-Robert;

            - Paris / Dieppe, par Saint-Germain, Poissy, Meulan, Mantes, Vernon, Louviers, et Rouen;

            - Paris / Le Havre : idem jusqu'à Rouen, puis Barentin, Yvetot, Alliquerville, et Bolbec,

            Il fait apparaître ensuite une ligne maritime tirée de Dieppe à Brighton, accompagnée du texte : 29 lieues communes de France de 25 au degré.

            Ce guide permet de mettre en évidence que les ports principaux de la Manche en direction de Paris, en venant de Grande-Bretagne, au début du XIXè siècle, sont Dieppe (au plus proche), Boulogne, et Calais, au plus éloigné.

            F. Trompette, vers 1865, donne les itinéraires les plus courts :

            - de Paris au Havre : par Courbevoie, Herblay, Pontoise, Bordeaux-de-Vigny, Magny, Tilliers-en-Vexin, Ecouis, Fleury-sur-Andelle, Forge-Féret, Rouen, Duclair, Caudebec, Lillebonne, La Botte, Le Havre.

            - de Paris à Calais : par Saint-Denis, Moisselle, Beaumont-sur-Oise, Puiseux, Noailles, Beauvais, Marseilles, Grandvilliers, Poix, Camps, Airaines, Abbeville, Nouvion, Bernay, Nampont, Montreuil-sur-Mer, Cormont, Sumer, Boulogne, Marquise, Le Haut-Buisson, Calais.

 

Routes des Postes

 

Carte extraite de l'étude : Le Chasse-marée de Picardie sur la route du poisson.

Lucette FONTAINE-BAYER. 

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