Deuxième partie
3. Analyses et commentaires des textes
Le Graal principe
Il n'est pas dans l'intention de la présente étude d'en rajouter ni de s'étendre davantage sur les thèmes mystiques et religieux du Saint Graal qui envahissent les publications folkloriques de la soi-disant Forêt de Brocéliande de la forêt de Paimpont. On peut en effet disserter de ce thème à perte de vue, selon que l'on soit croyant ou pas, sans jamais aboutir à une solution rationnelle puisque l'esprit qui sous-tend le thème de Paimpont est essentiellement basé sur l'irrationnel.
Le thème du Saint Graal a été introduit presque simultanément dans les Romans arthuriens à une époque de foisonnement mystique chrétien intense, en pleines péripéties de la 3è croisade (1). L'argument était d'essayer de donner à la chrétienté une supériorité divine, civilisatrice et courtoise, par opposition aux musulmans, désignés sous le nom d'Infidèles et présumés barbares et de donner aux chevaliers d'Occident une raison suprême pour aller se battre afin de délivrer Jérusalem des mains impies. Sans doute cela sous-entend-il aussi que les massacres et les crimes perpétrés par des chrétiens sont moins sauvages, moins cruels, plus humains et plus justes que ceux perpétrés par des païens ou des musulmans. Chacun est libre d'en penser ce qu'il veut.
S'agissant de poèmes d'origine celtique, il a donc été établi que le Graal, qualifié à l'occasion de Saint, correspondait au Saint Calice, vase qui aurait servi au repas de la Cène, la veille de l'exécution du Christ et dans lequel aurait été recueilli un peu de son sang alors qu'il était en croix. (2)
Un essai d'explication du Graal nous est donné par Armand Hoog, dans la préface de Perceval ou le Roman du Graal, (3) :
" J'ai rappelé que le Graal est tantôt un plat creux, tantôt une pierre. Pour les auteurs français, pas d'hésitation. Le vessel est une coupe. Au colloque de Strasbourg sur les Romans du Graal (1954), Mario Roques a recensé les variantes du mot graal dans les parlers d'oïl. Du latin gradalis on passe à griau, gruau, gré, guerlaud, grélot, greil, etc, et toujours avec le sens de récipient à ouverture large, seau, bouillotte ou grand plat creux. Grazal, gréal sont des mots d'oc, avec la même signification. Or, chez Wolfram d'Eschenbach, le graal est bizarrement devenu une pierre. Lapsit exillis. Tombée des cieux. Comme Wolfram écrit à la même époque que les autres, on n'a pas fini de s'interroger sur une aussi étrange déviation. Mais, du point de vue de l'analyse archétypale, la question perd beaucoup de son importance. Dans son livre sur la légende du graal, fondé sur les recherches de C.J Jung, Emma Jung a montré que les deux symboles sont connexes. Au graal-vaisseau, calice qui a recueilli le sang du christ, correspondent les signes mythologiques de la corne d'abondance, du chaudron magique des Celtes, de la coupe des gnostiques. J'ajouterai du panier d'Éleusis....." (4) " ...Le christianisme reprend à son profit dans le fonds des images collectives, la coupe, la lance, le plat et l'épée. Il baptise la coupe graal, met une goutte du sang de son dieu à la pointe de la lance ancienne. La procession des mystères est sanctifiée... ".
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Armand Hoog reste cependant lucide sur la superposition des thèmes :
" On ne dira jamais assez combien le Graal et la quête sont étrangers l'un à l'autre. Qui ignore cela - comme il arrive trop souvent - devient incapable de rétablir les véritables perspectives de la création médiévale. Le thème de l'initiation relevait d'une conscience anti-historique, située hors du temps; obstinée à la répétition annuelle de ses mystères. Le christianisme, lui, a inventé l'histoire."
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Focaliser l'attention du lecteur sur le thème mystique du Graal, c'est en effet oublier, volontairement ou pas, que le mot calice, avant d'avoir un sens divin, a aussi un sens commun ou sens profane, qui offre aussi d'autres explications. On les trouvera en notes. La racine indo-européenne est *K°lik- = coupe, vase. On la retrouve dans le sanskrit Kalásas 'coupe, pot' et Kalika 'bouton de fleur', en grec Kúliks 'coupe', en latin calix 'coupe, vase à boire'.
A l'origine, le mot calix / calice désigne donc une coupe à boire, sans anse et de n'importe quel matériau, bois, terre ou métal. Sa forme creuse, servant de réceptacle et de retenue de liquide, a servi par comparaison à désigner le calice de la fleur.
Mais le sens qui nous intéresse directement, différent de celui de coupe à boire, est celui donné par Frontinus, à savoir que le mot calix désigne également de façon très précise le premier tuyau d'un aqueduc, à savoir le tuyau en bronze qui émane de la prise d'eau de la nappe phréatique et qui se déverse au canal ou au réservoir. Ce thème est recoupé par celui de son contemporain Pline, à savoir crater, qui signifie le bassin d'une fontaine. Une excellente description résumée est donnée par les Dossiers de l'archéologie relatifs aux aqueducs romains : (5)
Les Romains savaient que le site d'apparition d'une source n'est pas forcément le meilleur endroit pour la capter car, si l'on ne prenait pas la précaution de remonter le cours d'eau des couches rocheuses stables et non fissurées, on risquait de voir un jour la source se tarir ou sortir quelques mètres à côté. Un captage romain présente donc normalement un bassin collecteur couvert; il est construit en pierre ou en blocage enduit au mortier hydraulique et se trouve au point d'aboutissement d'une galerie drainante et d'une série de drains. On pourrait multiplier les exemples concrets prouvant l'habileté des sourciers romains, telle la question controversée des sources de l'Aqua Appia à Rome dont les sources n'ont pu être retrouvées à l'endroit indiqué par Frontin sans doute parce que les Romains avaient su capter des sources aujourd'hui invisibles. A Arles, c'est l'eau de quatorze petites sources qui était collectée dans un bassin. A la tête de l'aqueduc de la Brévenne à Lyon, à celle de Nîmes, on a mis en évidence la présence de galeries drainantes dont les pieds-droits étaient munis de barbacanes destinées à collecter des eaux d'infiltration. Ce type d'ouvrage est particulièrement répandu en Afrique du Nord où l'eau était plus rare et plus précieuse. Mais l'ingéniosité des hydrologues romains allait encore plus loin. Ainsi, Germain de Montauzan a pu montrer qu'à la tête de l'aqueduc de Sens, les Romains ont mis en application le principe du puits artésien, dont ils ignoraient par ailleurs la nature, afin de relever le niveau d'émergence de l'eau. On comprend que, comme il arrive souvent en ces cas, ils aient pris leur propre habileté pour un don de la divinité et qu'ils aient élevé un sanctuaire afin de rendre grâce aux dieux. Le nymphée de Zaghouan qui se trouve à la tête de l'aqueduc de Carthage étudié par F. Rakob en est sans doute l'exemple le plus achevé".
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Extrait de l'ouvrage de Frontinus : Les aqueducs de la Ville de Rome Traduction par Pierre GRIMAL Belles-Lettres. 1961 |
Le Musée du Vatican, interrogé sur cette question, nous a transmis la photographie du calix d'un aqueduc retrouvé en Grèce et qui se trouve en sa possession, confirmant ainsi de façon concrète, visible et palpable, la véracité de nos propos. Voir reproduction insérée.