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Deuxième partie

 

4. La légende de Merlin dans la forêt de Paimpont

 

 

            Démystification de la pseudo-Brocéliande de Paimpont

" l'Imaginaire lui-même ne peut être bâti que sur du concret ..."

Jacques Briard

 

            Il est probable qu'à l'instar de nombreuses personnes, ceux qui ont implanté la légende de Merlin et de Viviane dans la forêt de Paimpont et ceux qui l'ont perpétuée l'on fait avec la ferme idée que de toute façon le sujet était tellement opaque et incompréhensible que nul ne pourrait jamais démontrer le contraire ni résoudre cette énigme dans son espace géographique ni dans son espace chronologique. Peut-être même l'ont-ils fait en croyant avoir résolu l'énigme elle-même. Peut-être même l'ont-ils fait de bonne foi, qui sait ?!

            Quoi qu'il en soit, il n'est désormais plus possible aujourd'hui de soutenir les prétentions de la forêt de Paimpont concernant cette légende. Il y a désormais bien trop d'éléments d'origines diverses qui en démontrent la totale incohérence.

            a) Le personnage de Raoul de Gaël est en effet des plus équivoques et des plus contestables. De toutes façons, il a été de tout cœur le vassal et l'obligé bien récompensé de Guillaume le Conquérant puisque, comme on l'a vu, celui-ci l'a doté d'un fief important avec titre de roi d'East Anglia. Ceci ne l'a pas empêché de comploter contre son bienfaiteur, jusqu'à le combattre ouvertement. Battu et renvoyé dans ses foyers, il ne trouve rien de mieux à faire que de pousser à la guerre civile en Petite Bretagne, en soutenant un compétiteur, Geoffroy le Moustachu, comte de Rennes, contre le duc légitime en place, Hoël de Cornouaille. Compte-tenu de son attitude subversive vis-à-vis de son propre bienfaiteur, Raoul de Gaël doit donc être considéré comme un intrigant, un comploteur et un ambitieux. Le fait d'avoir été roi en Grande Bretagne lui a de toute façon monté à la tête. Pour lui, il apparaît que le fait d'avoir été roi, même sous tutelle, même félon et déchu, le place d'office en position pour revendiquer le titre de duc, sinon pourquoi pas, le titre de roi de Petite Bretagne.

            Aussi, le fait de disposer d'un lieu-dit nommé Brécilien sur ses terres est pour lui l'aubaine de pouvoir se rattacher par le biais de Merlin au roi Arthur lui même. Et qui d'autre aurait eu le droit de revendiquer éventuellement la royauté sur les Bretons, sinon les descendants d'Arthur lui même. Peu importe qu'il s'agisse de Merlin, qui n'a jamais été roi. On n'en est pas à une mystification près. (5)

            b) L'introduction de cette partie de la Légende dans la forêt de Paimpont correspond à une époque de fébrile recherche de filiation éventuelle de la part de nombreux personnages en vue vis-à-vis du thème arthurien.

            Ainsi, en Angleterre devenue normande, Geoffroy de Monmouth après avait écrit ses Prophéties de Merlin vers 1135, rédige-t-il son Histoire des Rois de Bretagne entre 1135 et 1138, à la demande de Robert, comte de Gloucester, dernier bâtard d'Henry Ier et Waleran, comte de Mellent (Galeran de Meulan), comte de Leicester, fils de Robert de Beaumont. Il publie ensuite encore une Vie de Merlin en 1148.

            Laurence Mathey-Maille résume assez bien l'opinion des historiens vis-à-vis de l'état d'esprit des dirigeants de l'époque : (6)

            " La rédaction d'histoires nationales sert souvent le pouvoir des princes, ainsi la volonté de légitimer une dynastie ...

            ... Les Normands étaient avides de légitimer leur pouvoir; ils ne pouvaient guère effacer leur origine étrangère mais éprouvaient le besoin de s'inventer une filiation. L'Historia leur fournit l'occasion de s'inscrire dans une longue lignée de rois et justifie leur volonté d'expansion par l'existence d'une époque impérialiste de l'histoire anglaise qui culmine avec Arthur...

            ... en Angleterre, on ne trouvait aucune figure aussi illustre: Arthur vient combler ce manque en devenant, sous la plume de Geoffroy, l'instrument possible d'une légitimation..."

 

            Ce que Laurence Mathey-Maille a oublié de souligner, c'est que l'anti-pape Pascal III, pour faire plaisir à son empereur bienfaiteur et protecteur, Frédéric Barberousse, a tout simplement canonisé Charlemagne en 1165. Or, comme il y avait querelle au niveau de la papauté, chaque parti étant soutenu par des princes différents, il se trouve qu'il y avait aussi, à cet échelon, rivalité entre l'empereur d'une part, qui était allemand et donc honoré par l'image de Charlemagne, et d'autre part le roi d'Angleterre, suzerain d'une grande partie des territoires celtiques et donc honoré du principe arthurien. (7)

            c) absence de corrélation avec Carohaise :

            Ceux qui ont cherché à élaborer la relation 'merlinesque' en faveur de Raoul de Gaël se sont de toute façon trompés, volontairement ou non, aussi bien sur l'interprétation de la Légende, sur ses recoupements géographiques et géopolitiques, que sur ses recoupements historiques et chronologiques.

            En effet, le site de Paimpont ne peut en aucune manière être recoupé avec un autre site qui aurait pu s'appeler Carohaise, qui se devait d'être à la fois capitale (demeure du roi) et siège d'un évêché. Ce territoire de Paimpont, dépendant de la cité des Curiosolites, a été rattaché à l'évêché du même nom, dont le siège originel a probablement été placé, en toute logique, à Corseul ou à Aleth, avant sa partition entre ceux de St Brieuc et Alet / St Malo. C'est finalement de l'évêché de Saint Malo que dépend le territoire de Paimpont. (8)

            d) anachronisme géopolitique :            

            La Bataille de Carohaise, liée au thème de Brocéliande, s'est déroulée alors qu'Arthur était jeune, âgé entre 17 et 18 ans. Nous savons désormais qu'il s'agit de l'année 474. Mais quand bien même, par éthique et par générosité, ferait-on le calcul à partir de 537, date donnée par les Annales de Cambrie pour la bataille de Camlann, diminuée de 58 ans (=76 - 18), cela nous mènerait de toute façon sur l'année 479. Or, à cette date, il n'y a plus d'empire d'Occident, puisque celui-ci s'est éteint officiellement le samedi 04 septembre 476. Et il n'y a plus davantage de césar se prénommant Jules, le dernier du nom, Jules Népos, devenu auguste le lundi 24 juin 474 ayant été déposé le jeudi 28 août 475 sans être rétabli par la suite. (9)

            D'autre part, les Bretons d'Armorique n'ont encore compétence militaire que sur la moitié nord de la cité des Osismes. Ils n'obtiendront l'extension de cette compétence militaire sur la Cornouaille et sur la cité des Curiosolites qu'en 497, en accord avec Clovis, exerçant de façon officieuse la fonction de patrice et de consul honoraire en Gaules (10). Si l'on attend la date de 497 pour placer la bataille de Carohaise, Arthur est donc déjà âgé de 40/41 ans, ce qui est en contradiction formelle avec le texte de la Légende qui insiste à plusieurs reprises sur le jeune âge du roi au moment de cet évènement (11). Qui plus est, il n'est plus possible de se rattacher non plus au thème d'un pape nommé Sulpice ou Simplice (12).

            On voit ainsi à quel point l'accord de 497 entre Clovis et les Bretons d'Armorique revêt une importance capitale pour la compréhension de cette énigme, car cette date est postérieure dans tous les cas de figure à la date possible de la bataille de Carohaise.

            Le cas du Vannetais est encore plus éloigné dans le temps, puisque ce pays ne 'tombe' aux mains des Bretons d'Armorique qu'en 579, soit 105 ans après Carohaise. Quant au cas de Rennes et de Nantes, celui-ci n'est même pas soutenable, ces comtés n'ayant été acquis qu'après 845, soit plus de 371 ans après Carohaise !

            e) Anachronisme des lieux proposés à Brocéliande de Paimpont :

            L'ensemble des évènements relatés dans les Romans se situe dans une période historique allant de la moitié du Vè au milieu du VIè siècles après Jésus-Christ. Or, les monuments de la forêt de Paimpont que l'on a affublés de noms tirés de la Légende sont eux d'époque mégalithique, c'est-à-dire antérieurs de 2000 ans environ à la Légende. Il en est ainsi de l'Hotié de Viviane (coffre tumulaire: -3355 / -2890 env), du Tombeau des Géants (tombe tumulaire avec menhirs : -3000 / -1500 env), le tertre du Jardin aux Moines - Jardin aux tombes (tertre tumulaire : -3500 / - 3000 env), coffres de la Guette et du Roh Du (coffres mégalithiques : mobilier campaniforme -2000 env), allées couvertes de Brocéliande, dont le Tombeau de Merlin, enclos de Tréhorenteuc... L'étude des fragments de poteries trouvées à l'intérieur de ces monuments confirme cette période préhistorique et protohistorique. Même la tasse d'or de Paimpont correspond à l'âge de Bronze final (13).

            Scepticisme ouvertement affirmé par Jacques Briard :

- p 9 et suiv : "Dans toutes ces publications anciennes, en particulier celles de la forêt de Brocéliande, légendes et mythes viennent se mêler à la réalité archéologique. L'attribution aux héros arthuriens semble cependant relativement récente et elle a dû remplacer la traditionnelle celtisation des monuments mégalithiques générale au début du XIXè siècle ...

" L'esprit d'affabulation druidique est loin d'avoir disparu et les monuments de Brocéliande sont encore le témoin de cérémonies nocturnes, oeuvres de celtomanes sans compter les très officielles cérémonies 'bardiques' qui, à des dates régulières, provoquent l'érection de pseudo-cromlec'hs modernes... La tradition arthurienne vient aussi se cristalliser autour de ces mégalithes de légende et le Tombeau de Merlin à Paimpont voit chaque année un cercle d'initiés se recueillir à son chevet. Ces phénomènes socioculturels ont leur importance dans la compréhension contemporaine du mégalithisme même si l'on peut trouver qu'il s'agit là d'acculturations quelque peu abusives et erronées ..."

- p 71, à propos de Mr Poignant : " ... érudit de Montfort, publia ces renseignements en 1820. Il semble bien à l'origine de l'attribution des mégalithes aux héros arthuriens. Il écrit en effet : " ... j'ai cru reconnaître le Tombeau de Merlin et celui de son épouse, proches de l'abbaye de Talhoët, au bord de la forêt de Brécilien. Ils ont été abattus depuis environ 20 ans par le peuple pour y chercher des trésors mais les débris se voient encore sur le lieu dans un endroit appelé les Landais " (Les Landelles aujourd'hui). A partir de cette date le mégalithe fut effectivement reconnu comme Tombeau de Merlin, et les érudits celtiques s'y succédèrent, de Blanchard de la Musse et Hersart de la Villemarqué aux honorables membres des sociétés arthuriennes d'aujourd'hui."

- p 125-126 : "On peut bien sûr sourire de ce que certains appelleront des lubies ou des élucubrations mais n'est-ce pas une voie originale pour rappeler, au-delà des millénaires, l'éternelle quête de l'homme à la recherche de sa destinée ?

... Les mégalithes sont d'éternels supports d'âmes et de fantasmes. Sans cesse une acculturation celtisante a été pratiquée vis-à-vis des dolmens et des menhirs. L'Hotié de Viviane fut au siècle dernier encore mieux connu sous le nom de Tombeau des Druides. Une partie des celtomanes entretient encore l'anachronisme des monuments druidiques. Les néo-druides du monde moderne se manifestent par des cérémonies au pied même des monuments, le plus souvent aux nuits de pleine lune ...

" La tradition a été généreuse puisque l'on peut dénombrer au moins trois tombeaux de Merlin en cette forêt dont un seul semble avoir été préservé ..."

            f). Incohérence religieuse.

        En effet, tout le mythe arthurien de la forêt de Paimpont repose, comme nous venons de le voir, sur le thème mégalithique et païen.

            Or, il faut restituer le fait que l'épopée arthurienne se situe à cheval sur la fin du Vè et le début du VIè siècles après J-C, époque qui correspond au triomphe politique du christianisme et à sa mise en place en tant que religion officielle et unique de l'empire romain.

            En tant que britto-romain, Arthur est donc un roi chrétien. Il ne viendrait à personne l'idée de contester cette vérité. Il applique les principes de la religion chrétienne. Les officiers et les soldats de son armée font de même: ils respectent et appliquent les directives et les lois de l'Empire et de l'Église.

            Rappelons à cet effet que depuis plus d'un siècle, l'établissement du culte chrétien est un fait acquis et que le paganisme est combattu farouchement et officiellement. Plusieurs lois et décrets parfaitement déterminants sont venus confirmer le christianisme en tant que religion officielle de l'État et interdire les pratiques païennes. Parmi les plus spectaculaires de ces lois et décrets, nous pouvons souligner :

+ 381 : Gratien refuse de porter le titre de Pontifex Maximus et fait retirer de la salle du Sénat l'autel de la Victoire;

+ 391 : Edith de Milan, interdisant tout sacrifice sanglant;

+ 392 : Théodose proclame la religion chrétienne religion officielle de l'Empire romain, interdit les sacrifices religieux païens sous peine de mort et de confiscation des biens et interdit les Jeux Païens (Jeux Olympiques);

+ 396 : Révocation des privilèges des prêtres païens;

+ 399 : Ordre de destruction des temples païens;

+ 408 : Confiscation des revenus des temples païens pour les transférer à l'armée. Interdiction aux païens du service du Palais impérial;

+ 416 : Exclusion des païens de l'armée, de l'administration et de la justice;

+ 431 : Concile d'Éphèse. Établissement du culte marial, qui a pour effet de renommer en version chrétienne la Grande Déesse celtique et d'obtenir l'adhésion des populations de Gaules, de Bretagne et même d'Irlande.

+ 432 : Saint Patrick, un britto-romain, est nommé évêque d'Irlande;

+ 435 : Loi ordonnant la destruction des temples païens restés intacts;

+ 436 : Loi proclamant la peine de mort pour les adeptes du paganisme;

+ 451 : Loi instituant la peine de mort pour tout propriétaire d'un local ou d'un lieu où se pratique un culte païen;

 

            Comme on le voit, la mise en place du christianisme au Vè siècle a consisté en un processus systématique, par l'étouffement méthodique de toute revendication païenne, dans toutes les catégories de la société et à tous les échelons de l'état.

            Ainsi, il est totalement incohérent d'imaginer que Merlin, soldat chrétien au service d'un roi chrétien et d'un état chrétien, se soit fait enterrer dans une sépulture mégalithique, donc païenne aux yeux des Chrétiens, ... mégalithes qu'il avait par ailleurs l'ordre de détruire !

notes : Paimpont

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