Première partie
Contexte géopolitique du Roman de Merlin
Sidoine Apollinaire, Riothame, et les Bretons installés en Gaule.
Un peu plus de quatre vingt ans après la décision de Maxime, et environ treize ans après Crayford, un personnage nommé Riothame nous est connu à partir d'une lettre de Sidoine Apollinaire 'A son cher Riothamus', datée apparemment de Lyon en 470. Dans cette lettre, Sidoine prie Riothame d'intervenir en sa qualité évidente de responsable de haut niveau pour mettre un terme aux agissements de soldats bretons qui incitent les esclaves d'un propriétaire gallo-romain à la désobéissance (1). Selon des commentateurs, il s'agit d'un 'roi de Bretons ... réfugiés de Grande-Bretagne dans le tractus armoricanus' qui, après la défaite de Déols face à Euric, roi des Wisigoths, s'est réfugié chez les Burgondes (2).
Il est intéressant de mettre en lumière une autre lettre de Sidoine Apollinaire, dédiée 'A son cher Vincentius', datée du début 469, et relatant le procès d'un certain Arvandus, procès qui a conduit à la condamnation, à la dégradation civique, et à l'exil de celui-ci. Arvandus a été arrêté parce qu'il aurait essayé de négocier sous cape avec les Wisigoths et les Burgondes installés en Gaule contre les intérêts de l'empereur. Sa lettre, malheureusement pour lui, a été interceptée, d'où son procès (3). Voici ce qu'en dit Sidoine :
" ... les envoyés de la province de Gaule, le préfet honoraire Tonantius Ferreolus petit-fils du consul Afranius Syagrius par la fille de ce dernier, ainsi que Thaumastus et Petronius, personnages dotés de la science la plus approfondie des affaires et de la parole, dignes d'être comptés parmi les principales gloires de notre patrie, arrivent (à Rome) sur les pas d'Arvandus, investis d'un mandat officiel et chargés de soutenir l'accusation au nom de la province. Parmi les griefs que leurs compatriotes leur avaient donné mission de présenter, ils versaient au dossier une lettre qu'on avait interceptée et que le secrétaire d'Arvandus, arrêté lui aussi, déclarait avoir été dictée par son maître. Il apparaissait que ce message était adressé au roi des Goths, qu'il lui déconseillait de faire la paix avec l'empereur grec, lui montrait la nécessité d'attaquer les Bretons installés au nord de la Loire, affirmait que les Gaules devaient, suivant le droit des peuples, être partagées avec les Burgondes, et cent autres folies à peu près analogues, bien propres à inspirer de la violence à un roi belliqueux et de la honte à un roi pacifique. Cette lettre, selon l'interprétation des jurisconsultes, constituait à l'évidence le crime de lèse-majesté. " |
Ce texte nous confirme donc sur deux points essentiels :
- des Bretons sont bien installés au nord de la Loire : Britannos supra ligerim sitos...;
- l'empereur est qualifié d'empereur grec.
On ne peut s'empêcher de mettre ce texte en parallèle avec le dernier paragraphe du chapitre XII des Enfances de Merlin, titré Merlin en Romanie, traitant d'une époque de très peu antérieure à la venue en Carmélide d'Arthur, déjà roi à la Bataille de Carohaise (4) :
" Quelques temps plus tard vint un messager de l'empereur Adrian de Constantinople. Comme il se retirait, il jeta les yeux sur les lettres qu'avaient tracées Merlin et les lut aisément à l'empereur. Mais aussitôt que Julius César les connut, elles disparurent et l'on n'a jamais su ce qu'elles étaient devenues. Et c'est depuis ce temps que l'empereur de Rome fut jaloux du roi Artus. " |
Cet épisode épistolaire intense qui se passe, selon les Romans, peu de temps avant la bataille de Carohaise, affirme donc la présence de Bretons en Gaule, quelque part au nord de la Loire, avant 469. Il confirme donc partiellement l'analyse faite à propos de Maxime et de ses Brittones aremorici, épisode antérieur de quatre vingt ans à l'évènement concerné.