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Légende arthurienne Mojenn ar Roue Arzhur

* Chevalier de Fréminville (1837) : 

"Le souvenir de cette cité antique (Le Yaudet) n'est pas le seul qui se soit conservé dans cette partie du département (des Côtes du Nord); tout le territoire compris entre Lannion et la mer, depuis la rivière du Guer jusqu'à Perros-Guirec, en a gardé d'autres qui ne sont pas moins dignes d'intérêt : des monuments des premiers âges du christianisme; une foule de traditions relatives à ces romans historiques dits de la table ronde, berceaux poétiques de l'histoire de Bretagne, s'y retrouvent presqu'à chaque pas.

Là, dans la paroisse de Plœmeur, existe le château de Kerduel, si célèbre dans ces chroniques, et dont elles font le séjour favori du roi Artus. C'est dans ce château que ce prince environné de tous ses preux, de Lancelot, Tristan, Karadeuc, Yvain, etc., tenait une cour magnifique, dont la reine Gwenarc'han , son épouse, et la belle Brangwain , sa favorite (1), faisaient l'ornement et les honneurs. Le château actuel de Kerduel n'est pas, il s'en faut de beaucoup, l'édifice qui existait du temps d'Artus, il n'en a conservé que le nom et les souvenirs; mais ces matériaux fugitifs n'en sont pas moins des documents infiniment précieux pour l'histoire.(2)

A peu de distance, et tout près de la côte, est la petite île d'Agalon ou Avalon, lieu de la sépulture d'Artus. C'est en vain que les Anglais ont revendiqué ce fait et qu'ils prétendent que le héros fut enterré dans une autre île d'Avalon, qui existe effectivement dans le pays de Sommerset. Toutes les autres localités désignées dans les chroniques de la table ronde, sont trop clairement placées dans notre Armorique et trop bien en concordance avec les noms qu'elles y portent encore aujourd'hui , pour que les prétentions des Bretons insulaires, à cet égard, ne soient pas repoussées par tous les esprits judicieux. Les Anglais ont surtout voulu posséder le tombeau d'Artus pour complaire à leur roi Henri II, admirateur passionné, comme nous l'avons dit ailleurs, des poèmes de l'antique Bretagne. Ils ont donc affirmé que ce tombeau existait chez les religieux du monastère de Glassenbury, dans le comté de Sommerset, qui prétendaient être en possession du sépulcre du roi des preux, et qui, désirant attirer l'attention et les bienfaits de Henri II sur leur couvent, offrirent de prouver leur prétention en faisant ouvrir le tombeau en sa présence même. La chose fut exécutée, et après avoir fouillé au lieu qu'ils désignèrent à une profondeur de sept pieds, on trouva une grande pierre plate sur laquelle était incrustée une croix de plomb chargée de cette inscription :

Hic jacet sepultus inclitus rex Arturius in insula Avalonià

Cette preuve paraissait concluante, et l'historien Cambden même l'adopte absolument. Mais il a été démontré depuis que la tombe et l'inscription n'étaient qu'une fraude des bons moines de Glassenbury , qui les avaient fabriqués et enterrés quelques jours d'avance dans l'endroit où la fouille fut faite en présence de leur monarque, lequel du reste en fut entièrement dupe.

Nous persistons donc à maintenir que, si comme le disent la tradition et les chroniques, le roi Artus a été enterré dans une île appelée Avalon, c'est dans l'île d'Avalon Armoricaine, dans celle qui avoisine son château de Kerduel, lieu de sa résidence de prédilection, et ou naturellement il a du désirer de terminer ses jours.(3)

On a déjà pu voir combien j'attache d'importance aux vieilles traditions populaires, et combien je blâme ces esprits vains et superficiels qui les rejettent avec dédain, les traitant de fables puériles. J'ai démontré, je pense, qu'au milieu du merveilleux qui les enveloppe, il existe toujours un fond de vérité. Ces traditions deviennent alors précieuses pour des temps où l'histoire se tait. Convaincu de leur utilité, j'en vais rapporter une qui, toute fabuleuse qu'elle paraisse, qu'elle soit en effet, quand au fond, renferme cependant quelques points qui peuvent donner matière à beaucoup de réflexions et à des discussions importantes.

Selon elle, Artus ne mourut point et par conséquent ne fut point enterré dans l'île d'Avalon. Mais cette île était le séjour d'une fée, la fameuse Morgain (altération de Morgwen, sœur de l'enchanteur Merlin). Or cette Morgain était amante éperdue du brave et aventureux monarque. Artus n'avait pas moins de succès en amour qu'en guerre; ses avantages auprès des belles inspirèrent à la magicienne une jalousie qui ne lui laissa plus de repos, et pour posséder en paix l'objet de sa tendresse, elle l'enleva dans un nuage au milieu des fêtes somptueuses de Kerduel, et le transporta dans l'île d'Avalon, dont l'abord fut rendu inaccessible à tout étranger. Dans ce lieu, dont elle avait fait un séjour enchanté, elle jouit avec son cher Artus d'une affection qui ne fut plus partagée. Elle ne lui permit de sortir de son île, pour visiter ses états, que sous la figure d'un corbeau, et le peuple croit encore, dans plusieurs localités des deux Bretagnes, qu'un jour il reprendra entièrement sa première forme et reviendra le gouverner.

Quelles vérités sont cachées sous cette fable ? D'abord que cette Morgain, si célèbre dans toutes les chroniques du temps, que cette fée, sœur d'un enchanteur non moins célèbre, n'était autre qu'une de ces druïdesses auxquelles le peuple attribuait toujours une puissance surnaturelle. L'île d'Avalon (l'île des pommes en Celto-Breton), était son séjour favori ? En effet, tous les historiens de l'antiquité, ces Romains entr'autres, dont l'autorité est d'un si grand poids aux yeux d'un grand nombre de personnes, nous disent dans leurs écrits que les druïdesses, pour avoir plus d'ascendant sur l'esprit de la multitude et s'environner de ce voile mystérieux qui en imposait aux peuples, surtout alors, choisissaient ordinairement leur séjour dans les îles presque inaccessibles qui bordent les rivages de l'Armorique.

Morgain ensuite enlève Artus dans un nuage, le dérobe à tous les regards et le tient caché dans son île, où son existence demeure ignorée de tous ses sujets. — Artus, dans une de ses courses aventureuses, à la poursuite de quelque bêle féroce, est entraîné sur le rivage et s'engloutit dans les sables mouvants qui bordent les grèves opposées à l'île d'Avalon. Telles sont les réalités probablement cachées sous la fiction que nous venons de rapporter.

La fée, la magicienne, la druïdesse Morgain, est un personnage trop généralement cité dans les traditions des temps obscurs, pour qu'on ne soit pas porté à croire a son existence Mais ici s'élève une question intéressante à discuter; ce personnage fut-il réellement un être unique, ou faut-il croire qu'on a reporté sur lui les fictions, les faits merveilleux de plusieurs autres de même nature existant à-peu-près aux mêmes époques, c'est-à-dire de plusieurs autres prêtresses du culte druïdique, renommées par un prétendu pouvoir surnaturel ?

Ce qui nous conduit à faire celle question, est un rapprochement fort singulier entre le nom de Morgain et celui d'une autre fée non moins célèbre dans nos vieux récits , la fameuse Mélusine du Poitou.

Effectivement, le nom de Morgain n'est qu'une altération de Mor-gwen, ce qui signifie, en Celto-Breton, blancheur de mer, c'est-à-dire, selon moi, l'écume de la mer.(4)

D'un autre côté le nom de Mélusine ou plutôt Mer lusine, comme le prononcent encore aujourd'hui les paysans du Poitou, vient des deux mots Celtiques Mor-lusein, qui signifient brouillard, vapeur de mer.

Morgwen habite une petite île au milieu des flots de l'Océan. Mélusine se plaît dans les eaux du lac de Lusignan, où elle nage sous la figure d'une femme dont la moitié inférieure du corps est celle d'un poisson.

Voilà de grandes ressemblances dans l'histoire de deux druïdesses célèbres dans les Gaules, et qui peuvent avoir existé dans des temps très-rapprochés. Nous ne tenterons pas de décider si ce furent deux êtres identiques, nous abandonnons la question aux savants qui seront tentés de l'approfondir. Nous rappellerons seulement ici que l'illustre maison de Lusignan en Poitou, prétendait prouver d'une manière irrécusable sa descendance de Mélusine.

Terminons donc ici cette digression sur des traditions locales intéressantes, mais dont l'origine se perd dans la nuit des temps, et occupons-nous de l'examen de monuments plus positifs qui se voient dans le canton de Lannion.

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(1) Les traducteurs maladroits des romans de la table ronde ont, suivant leur usage, étrangement défiguré ces deux noms. Ils ont changé celui de
Gwenarc'han , qui veut dire Blanche comme de l'argent, en celui de Genièvre, où l'étymologie n'est plus reconnaissable; et celui de Brangwain en Brangien.

(2) Le château de Kerduel appartient aujourd'hui à M. de Champagny, lieutenant-général des armées du roi, du chef de sa femme, ci-devant mademoiselle Caroline de la Fruglaye.

(3) Les historiens manquant au sixième siècle à la Bretagne Armorique, Artus, quoique son existence ne puisse être révoquée en doute, n'est demeuré qu'un personnage de traditions, qu'un héros poétique. Plusieurs raisons portent cependant à croire qu'il a vécu de l'an 510 à l'an 542, et qu'il possédait tout le territoire compris entre les rivières de Lannion et de Tréguier. Il avait aussi des domaines étendus dans le pays de Galles, où sa ville principale se nommait Cintageul, nom défiguré dont il serait important de retrouver l'origine. Dans ses aventures, Artus figure tantôt en Angleterre, tantôt en Armorique.

(4) N'est-on pas frappé aussi des rapports de noms de ces demi divinités Celtiques , avec celui de la Vénus des Grecs afrodite qui signifie écume, et de la fable qui fait naître cette déesse de l'écume de la mer? ceci n'est qu'une remarque amenée par un hasard singulier sans doute, nous n'en déduisons rien d'ailleurs; mais il est de ces analogies dont l'origine, si elle était recherchée , nous ferait remonter bien haut à travers la succession des siècles et montrerait une grande identité dans les croyances primitives des peuples.

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