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Chapitre XII

La Bretagne dans le tourbillon du IIIè siècle

( compte tenu de la matière à traiter, ce chapitre est publié en chapitres séparés)

(utiliser les liens)

 

 

               4. Dissidence de Carausius et d'Allectus. 287 / 296.

            Le problème étant réglé, au moins officiellement, les responsables de l'Empire peuvent à nouveau concentrer leurs forces sur la défense des frontières.

            En 286, Maximien Hercule confirme au commandement de la Classis Britannica un certain Carausius, Ménape d'origine modeste, qui s'est signalé lors de la répression des Bagaudes, et qui est réputé pour ses grandes connaissances de la guerre maritime. Sa mission est de protéger les côtes de Belgique et de la Manche contre les pirates Francs et Saxons qui infestent désormais la mer, et si possible de les en chasser définitivement. (9)

            Mais que se passe-t-il alors réellement, on ne le sait car les documents nous manquent. Toujours est-il que l'amiral Carausius se voit accuser par certains de ne pas reverser intégralement au Trésor de l'Empire le butin pris aux pirates. D'autres vont même jusqu'à l'accuser de collusion avec ceux-ci aux dépends de l'Empire. L'attitude équivoque de Carausius, qui ne semble même pas vouloir se défendre de ces graves accusations, constitue aux yeux de tous un aveu, et Maximien Hercule, l'empereur, donne alors l'ordre à ses armées de rechercher le renégat et de le mettre à mort.

            Carausius, loin de s'en impressionner, et sachant qu'il peut disposer de la puissance navale et de l'appui des Francs et des Saxons (donc effectivement ses amis !), se proclame purement et simplement auguste / empereur lui-même, en soumettant à son commandement, bon gré ou mal gré, les légions de Bretagne et d'une partie du nord de la Gaule. La rupture avec Maximien est donc nette et sans détours, et chaque camp entreprend à nouveau des préparatifs de guerre. (10)

            Carausius, outre la Marine, possède les forts de la côte sud-est de l'Ile de Bretagne qu'il fait regarnir de troupes ainsi que le port de Gesoriacum / Boulogne-sur-Mer sur la côte nord de la Gaule belgique. Il s'agit en fait d'une véritable ceinture de places fortes autour du détroit, qui lui confère la puissance et la maîtrise incontestée de la mer, et donc de l'Ile de Bretagne. Fort de cette situation, Carausius se permet le luxe de braver les empereurs en les qualifiant de frères et même de faire frapper des monnaies à son effigie jusqu'à Rotomagus / Rouen- sur-Seine, capitale de la Gaule armoricaine, avec des inscriptions comme Expectate Veni ..., ou  Roma Aeterna ....

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Les murailles romaines de Portus Adurni / Portchester

extrait de Roman Britain, 55 B.C - A.D 409; page 61

            Les Romains quant à eux, sont à nouveau empêtrés dans une nouvelle vague de dissidences simultanées d'un bout à l'autre de l'Empire. Car, outre Carausius en Ile de Bretagne et dans le nord des Gaules, ils ont aussi à affronter Achilleus en Égypte, Julianus et les Pentapolitains en Afrique du Nord, et Narseus en Orient et en Perse. La situation, comme on le voit, n'est ni enviable ni brillante, loin s'en faut. Maximien lui-même, pourtant bon stratège, ne sait plus très bien comment venir à bout de la dissidence de Carausius, d'autant que la malchance vient s'ajouter à ses entreprises militaires.

            S'il parvient, dès 288 à extirper de la côte de Belgique les Francs alliés de Carausius (11), par contre la flotte qu'il fait construire et équiper sur les bords de la Moselle se voit empêchée de prendre la mer à cause ...           A cause de quoi mon brave ? 

            ... A cause de la sécheresse qui sévit cette année là, les fleuves se trouvant presque sans eau, et dans l'impossibilité de porter des bateaux ! (12)

            L'année suivante, il tente une nouvelle traversée. Mais cette fois ci, coquin de sort, la situation est exactement inverse de l'année précédente car la flotte, prise dans une tempête, est éparpillée et contrainte à rebrousser chemin ! (13)

            La situation devient humiliante pour Maximien Hercule, dont l'épithète ne semble plus très appropriée, d'autant que son collègue Dioclétien est parvenu de son coté, à rétablir l'ordre romain en Orient et en Afrique du Nord. Les deux empereurs ont une entrevue à Mediolanum / Milan en janvier 291, pour faire le point sur leurs situations respectives. Les rênes de la guerre contre Carausius sont alors confiées à Constance Chlore, adopté par Maximien, et élevé à la dignité de césar = vice empereur, en 292.

            La première opération de Constance Chlore consiste, au printemps 293, à, faire le siège et le blocus de Gesoriacum / Boulogne sur Mer, dont les murs d'une résistance à toute épreuve et de hautes dimensions n'ont jamais été abimés par l'océan et constituent pour les assiégés un abri sûr contre les machines de guerre. La bataille est longue et d'une extrême âpreté, et il faut à Constance faire preuve de patience et d'ingéniosité pour en venir à bout. Afin d'empêcher le ravitaillement en hommes et en vivres par la mer, il fait enfoncer des pieux à l'entrée du port pour en interdire l'accès aux navires bretons, et fait en plus immerger d'énormes blocs de rochers. Le commentateur du Panégyrique de Constance qualifie lui-même les travaux de gigantesques et dénote ainsi le caractère tout à fait grave de l'enjeu. (14)

            En fin de compte, au bout d'une résistance des plus héroïques, la ville-port fortifiée de Gesoriacum est reprise par les armées de Constance Chlore. Il était plus que temps pour celui-ci car la grande marée qui survient peu de temps après détruit la barrière de pieux et met à mal une partie de la flotte destinée à la contre attaque contre la Bretagne, la rendant du même coup non opérationnelle pour une traversée du détroit. (15)

            Mais il n'est pas rare qu'une catastrophe en entraîne une autre, et ce principe vaut aussi pour les Bretons. En effet, à peine Gesoriacum est-elle tombée aux mains de Constance Chlore que l'on apprend que Carausius lui-même vient à son tour d'être assassiné par Allectus, son secrétaire-comptable et principal lieutenant, qu'il avait élevé à la fonction de chef de son administration financière. (16)

            Je vous avais dit qu'il fallait se méfier d'être empereur ! Mais on m'écoute pas !

           Allectus se fait donc à son tour proclamer auguste / empereur par l'armée insurgée de Bretagne, vers 293. Nous ne savons pas grand chose de lui, de ses origines, de ses qualités, ni de ses états de services. Il semble qu'il se contente de rester dans l'expectative, confiant dans le système mis au point par Carausius, bien que privé de la base importante de Gesoriacum, de l'autre côté du détroit.

            Constance Chlore, lui, de son côté ne reste pas inactif. En 293, il déloge successivement des côtes de Batavie, près des bouches du Rhin, les Chamaves et les Frisons alliés d'Allectus, et fait construire et équiper une nouvelle flotte d'attaque contre la Bretagne.

            L'ordre d'assaut est donné au printemps 296. Les plans sont établis comme suit :

            - Maximien Hercule, l'empereur d'Occident en personne, se met en position de garde et de réserve en Germanie, près de l'embouchure du Rhin, de façon à dissuader les Barbares germaniques d'attaquer la Germanie romaine et les Gaules pendant le déroulement des opérations en Bretagne.

            - Constance Chlore, le césar / vice empereur, s'embarque avec une partie des troupes à Gesoriacum et se dirige vers Londinium / Londres en pénétrant par l'embouchure de la Tamesa / Tamise.

            - Lucius Asclepiodotus, préfet de la garde prétorienne, s'embarque à l'embouche du Sequana / Seine et se dirige vers l'île Vectis / Wight avec le gros des troupes.

            Cette attaque en tenaille sur un double front provoque l'effet de surprise désiré car Allectus, qui s'attend à un débarquement en force dans le Cantium / Kent, abandonne sa position pour se porter à la rencontre d'Asclépiodote. Le débarquement de ce dernier ne se fait pas sans problèmes car, gêné d'abord par le brouillard, il semble aussi qu'une contre attaque de la marine de Bretagne à l'aide de brûlots soit à l'origine de l'incendie d'une partie de la flotte impériale.

            La confrontation armée entre Asclepiodotus et Allectus se fait aux environs de la ville actuelle d'Alton, sur la route qui rejoint Venta Belgarum / Winchester à Londinium / Londres. Allectus est écrasé et tué dans la bataille.

            Une fois de plus, on ne m'a pas écouté !

            Les survivants de l'armée d'Allectus et les mercenaires francs se replient toute hâte sur Londinium qu'ils pillent et mettent à sac. Mais ils sont cueillis à leur tour par les troupes du césar Constance Chlore, débarquées de l'autre côté à l'embouchure de la Tamesa / Tamise , les prenant dans ainsi dans une nasse, et leur interdisant toute possibilité de fuite par la mer. Il n'en restera pas un seul survivant, car ils seront massacrés jusqu'au dernier. (17)

            Après cette brillante victoire, dont le mérite revient en grande partie à Asclepiodote, Constance Chlore fait une entrée triomphante à Londinium / Londres, où il est acclamé en libérateur par la population. (18)

            Ainsi finit la sédition bretonne de Carausius et d'Allectus. Nous sommes en 296 ap. J.C, et Londinium devient Londinium Augusta : Londres, Ville impériale !

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Entrée triomphale de Constance Chlore à Londinium

Rheinische Landesmuseum. 

Extrait de Londinium guide, de Ordnance Survey.

aller aux notes : Carausius; Allectus; Constance

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