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Gustave GEFFROY

 

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   A Ploemeur , le pays s'appauvrit encore. C'est la plaine rase, sans un arbre, où quelques pierres druidiques servent d'abord de point de repère, puis ce sont des clochers dominant des groupes de maisons basses. Ce terrain de roches et de landes envahi par le vent, c'est le territoire de Penmarch qui apparaît comme l'emplacement d'un monde disparu. 

   L'imagination s'est plue à croire qu'il y avait ici une magnifique cité, remplie d'églises, et tout un commerce florissant. Gustave Flaubert, écrivant ses impressions de voyage en Bretagne, a répété, après Émile Souvestre, que des rues s'ouvraient, toutes consacrées à un commerce spécial : la rue des Argentiers, la rue des Orfèvres, la rue des Merciers. Anatole Le Braz n'a pas eu de peine à démontrer le peu de solidité de ces hypothèses, et je n'examinerai pas de nouveau la question au point de vue historique. Je ne puis que relater les on-dit et les opinions. L'aspect de nature semblerait indiquer que jamais si grosse ville n'a pu s'élever et durer ici. 

   Le nombre des églises n'y fait rien, ni leur importance. Une église n'était pas faite spécialement pour une ville, mais commandait la campagne. La paroisse pouvait être considérable, alors que l'église n'était entourée que des quelques maisons d'un hameau. Il suffisait que le clocher fût aperçu de loin, que les laboureurs, cachés dans leurs chaumines ou courbés sur leurs sillons, entendissent la volée de ses cloches que le vent de mer leur apportait. Ce vent, parfois, jetait le clocher à bas; on le rebâtissait, parce que c'était chose sacrée. Mais il serait invraisemblable qu'on ait voulu, à toute force, établir une grosse ville sur ce sol rude, sous les assauts du vent et de l'Océan. 

   Les villes s'établissent tout naturellement au bord des rivières et des fleuves, dans les riches vallées, couvrent les flancs des collines. A la rigueur, des villages peuvent se nicher n'importe où, à proximité des champs. Partout où le sol peut être labouré s'élève une maison. Une seconde maison s'ajoute à la première, puis une troisième, un groupement se fait, c'est le hameau, c'est le village, le sentier peut devenir chemin, le chemin peut devenir route. Mais une ville ne se bâtit guère sur un plateau exposé aux neiges, ni sur une avancée de terre exposée au péril de la mer. 

   On exagère donc beaucoup, très probablement, l'importance de la ville ancienne de Penmarch, ruinée par le raz de marée qui a ravagé la partie sud de la presqu'île de Cornouailles, ou du moins réduite aux proportions d'un modeste village, ou plutôt fragmentée en villages et en hameaux. Tous les raz de marée possibles ne feraient pas qu'il y ait eu ici un sol propice, le milieu nécessaire à l'existence d'une très grande ville. D'autre part, pour tout dire, un port de mer sur, bien abrité, peut donner naissance à une ville. La barque appelle la maison et l'entrepôt. On peut donc admettre, à défaut d'une ville qui couvrait toute la presqu'île, d'une cité colossale aux nombreux clochers, une ville de pécheurs, d'armateurs, de commerçants. On parle de quinze mille habitants à Penmarch, de huit cents bateaux qui faisaient, sur la côte même, la pèche de la morue. C'est à peu près l'importance de Douarnenez et de Concarneau, qui ont environ sept cents bateaux. Or il y a environ dix mille habitants à Douarnenez, et six mille habitants à Concarneau. L'ancien Penmarch a pu être une grosse bourgade de ce genre. Mais la légende s'en est mêlée. On a cru voir une autre ville plus vieille encore que Penmarch ensevelie sous les Ilots. C'est toujours la ville d'Is, dont on entend sonner les cloches par certains temps. Autrefois, on disait la messe, en bateau, au-dessus de ces vagues recouvrant un monde, pour le repos de l'âme des engloutis.

   Un port, des barques et la pèche de la morue, voilà donc le passé certain de la région. La présence des bancs de morue dans les eaux de Penmarch avait attiré des pécheurs, et le duc Jean V dut publier, en 1494, un édit interdisant aux laboureurs d'abandonner leurs terres sous peine de la hart. Tous, en effet, voulaient, sinon faire fortune, du moins vivre en profitant de l'aubaine naturelle, le commerce de la « viande de carême » donnant plus de bénéfices que les champs de la presqu'île. Émile Souvestre, qui a recueilli les on-dit et a tenté d'en faire de l'histoire, écrit à ce propos : « Penmarch avait alors un port formé par une longue jetée, dont on voit encore les vestiges et qui s'étendait depuis Kerity jusqu'au rocher appelé la Chaise. Quant à la ville, elle couvrait tout l'espace actuellement compris entre les petits hameaux de Penmarch et de Kerity, comme l'attestent les amas de décombres disséminés sur cet espace. L'étendue de son circuit n'avait point permis de l'environner de fortifications; mais comme sa position l'exposait à une descente des Anglais et des pirates, la plupart des riches habitants avaient mis leurs demeures à l'abri d'un coup de main en les entourant d'un mur crénelé et en les fortifiant d'une petite tour à beffroi. La découverte du grand banc de Terre-Neuve fut le premier coup porté à la prospérité de Penmarch; il lui restait pourtant son commerce avec l'Espagne, commerce de toiles, de chanvre, de bestiaux, etc. » C'est ici que se place le raz de marée qui abîma le port et fut cause du déplacement des bancs de morues. Toutefois, Souvestre continue : « Au commencement du XVIè siècle, c'était encore une ville considérable. Henri II accorda, en 1557, à celui de ses arquebusiers qui abattrait le Papegaut, le droit de débiter sans taxe quarante-cinq tonneaux de vin, privilège que Rennes et Nantes n'avaient pu obtenir; mais vers cette époque, les attaques des pirates devinrent plus fréquentes et lui causèrent de grands dommages. » Finalement, Souvestre dit la perte par une tempête (est-ce le raz de marée?) qui fit périr trois cents bateaux, montés chacun par sept hommes. Beaucoup de marchands quittèrent alors Penmarch avec tout ce qu'ils possédaient, pour aller s'établir à Roscoff, à Quimper, à Brest et à Audierne.

   

   Pendant la Ligue, les habitants ne voulurent s'enrôler dans aucun parti, ils bâtirent un fort à Kerity, mirent quelques maisons des plus exposées en état de défense, et transformèrent l'église de Tréoultré on arsenal et en lieu de refuge pour les femmes, les enfants et les vieillards. Cela ne suffit pas pour arrêter Fontenelle, qui pénétra par ruse dans la ville, où ses hommes tuèrent et saccagèrent sans merci. Moreau dit que la principale tuerie fut dans l'église, où les habitants avaient leurs lits autour de la nef et jusqu'auprès du grand autel. Le bandit fit transporter à l'île Tristan, dans la baie de Douarnenez, trois cents barques de butin. Malgré ces malheurs, Penmarch n'est pas en déchéance croissante. A l'époque où Souvestre écrivit sa relation de voyage, les deux hameaux ne comptaient que dix-huit cents habitants, ils en abritent aujourd'hui six mille. Il y a des barques de pèche et des confiseries de sardines à Kerity et à Saint-Guénolé, et, plus vers l'est, à Guilvinec.

   Il reste, de l'époque qui vient d'être évoquée, quelques vieilles maisons qui ont conservé leur ceinture de murailles de défense et sont flanquées de tourelles. Il reste aussi six églises ou chapelles dont la plus importante est Saint-Nonna. Une inscription placée au porche dit ceci : « Le jour saint René 1508, fut fondée cette église, et la tour l'an 1509, dont était recteurK' Jégou. » L'édifice est d'aspect massif et imposant, orné de gargouilles humoristiques, de ceps de vigne, de vaisseaux sculptés à la

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