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Ogée : Dictionnaire historique et géographique de Bretagne (vers 1780)

suivi de 

Marteville et Varin, continuateurs et correcteurs d'Ogée (1843)


   La Roche-Derien; petite ville, sur la rivière [de Jaudy] et sur la route de Tréguier à Guingamp; à 1 l. 1/8 de Tréguier, son évêché [aujourd'hui Saint-Brieuc] et sa subdélégation ; à 29 l.1/5 de Rennes. Cette ville dépend du comté de Goello, et ressortit au siège royal de Lannion. On y compte 1300 communiants. Il y a un marché le vendredi, et deux foires par an. M. le duc de Penthièvre en est le seigneur. La cure est à l'alternative.

Noms des Juridictions et des Maisons nobles qui s'y trouvent.

   La Roche-Derien, haute, moyenne et basse-justice, à M. le prince de Soubise; Kersaliou, haute, moyenne et basse-justice, à M. de Carcaradec; Kersévéon, moyenne et basse-justice, à M. du Liscouet; Rocumelez, moyenne et basse-justice, au même; Lisle-Loi et annexes. moyenne et basse-justice, au même; Kerengant, Trauhadiou, moyenne et basse-justice, à M... Kerjeuf; Kercabin [est en Ploëzul] , basse-justice, à M. de Kerjeuf de Kerguenech; Kerlieset, moyenne-justice, à N...; Keresse, moyenne-justice, à N...; le Prat-Ledan, basse-justice, à M. de Kerguezec; Trevecart, Lajo, la Villegrignon, Merionet, Bodeuc et le Couedic, sont aussi des maisons nobles.

   Derien, fils de Henri, comte de Penthièvre, eut en partage la terre et seigneurie de la Roche-Derien , où il fit bâtir, en 1070, un fort château entouré de murailles et de fossés, qu'il nomma de son nom. — Le prieuré de Sainte-Croix fut fondé, l'an 1154, par Dertian, seigneur de la Roche-Derien, qui le donna aux moines de Saint-Melaine de Rennes, qui l'échangèrent, en 1256 , avec celui de la Madelaine de Moncontour, que possédaient alors les chanoines de Sainte-Croix de Guingamp. —En 1218, Eon de la Roche-Derien partit pour la Terre-Sainte, et confia, pendant son absence, l'administration et le gouvernement de ses biens à Geoffroi, vicomte de Rohan. — On voit dans un extrait bien constaté de la Chambre des Comptes que Bertrand de Saint-Pern, IIème du nom, commandait, l'an 1311, avec beaucoup d'autorité , pour le duc Artur II, dans le château de la Roche-Derien, qui était alors une très-forte place*.

   Jean, Vè du nom, comte de Montfort, épousa, en premières noces, Marie, fille d'Edouard, IIIè du nom, roi d'Angleterre. Cette alliance fut avantageuse au comte, qui reçut toutes sortes de secours du roi son beau-père.

   Le comte de Northampton vint en Bretagne avec de nombreuses troupes, tant infanterie que cavalerie, pour faire la guerre au parti de Charles de Blois, et attaqua, en 1345, la ville et le château de la Roche-Derien. Les habitants demandèrent un jour pour délibérer sur ce qu'il serait à propos de faire. Ils s'assemblèrent sur-le-champ, et prirent le parti de se défendre. Les Anglais les poussèrent vivement, et parvinrent à brûler une des portes de la ville, au-devant de laquelle il y avait un retranchement. Les assiégés demandèrent encore une suspension d'armes qui leur fut accordée, et envoyèrent Huë Cassiel, commandant de la place, pour traiter avec le général anglais. On convint que les habitants de la Roche-Derien sortiraient, dans un délai de huit jours, vies et bagues sauves, si, dans ce temps, ils n'étaient secourus. Les huit jours expirés, ils rendirent la place aux Anglais, qui y trouvèrent Yves du Bois-Boissel, évêque de Tréguier, et Louis de la Roche, auxquels on donna une escorte pour les accompagner jusqu'à Tréguier. Les Anglais trouvèrent un grand butin dans la ville, avec plus de trois cents tonneaux de vin de France, et treize à quatorze tonneaux de vin d'Espagne, que des marchands espagnols avaient amené dans le port pour le vendre aux habitants. Ils firent d'abord difficulté de le rendre aux Anglais, parce qu'il était dans des vaisseaux ou barques; mais il leur fallut céder à la force supérieure.

   En 1346, Geoffroi Tournemine, seigneur de la Hunaudaye, qui commandait à Guingamp, ayant appris qu'une partie de la garnison anglaise de la Roche-Derien en était sortie, saisit cette occasion pour aller attaquer la ville; mais le projet fut découvert, et les Anglais prirent si bien leurs mesures qu'ils enfermèrent Tournemine entre eux et la ville, lui tuèrent beaucoup de monde et l'obligèrent de se retirer dans le plus grand désordre jusqu'à Guingamp, qui est à quatre lieues et demie de là (1).

   L'an 1347, Charles de Blois, à la tête d'environ seize mille hommes de troupes (armée formidable dans ce temps-là), alla attaquer la Roche-Derien. Il commença par distribuer ses quartiers avec beaucoup de prudence. Il en plaça un à l'endroit nommé Le Placis-Vert, poste très-important, avec ordre au commandant de ce poste de ne point l'abandonner, pour quelque cause et sous quelque prétexte que ce fût. Charles fit alors agir ses machines, qui étaient si fortes et si grandes qu'elles jetaient dans la ville des pierres de trois ou quatre cents livres. Une de ces pierres, qui tomba, par hasard, sur la chambre de la femme du commandant, qui venait d'accoucher, épouvanta tellement cette dame qu'elle supplia son mari de capituler. Toute la ville était dans la désolation, toutes les maisons étaient ruinées, et l'on ne croyait pas pouvoir résister long-temps. On envoya vers Charles pour traiter d'un accommodement. Les habitants demandèrent qu'il leur fût permis de sortir vies et bagues sauves; mais le comte, qui avait ses vues, refusa d'entrer en négociation. Il espérait battre le secours que la comtesse de Monfort envoyait aux assiégés. Ceux-ci, qui apprirent qu'une armée venait à leur secours, redoublèrent de résistance et ne tardèrent pas à voir leur espoir rempli. Huit mille hommes d'infanterie et mille de cavalerie, commandés par Thomas Dagorne, Jean de Hartuelle et Tangui du Châtel, arrivèrent par des chemins détournés, et si secrètement que Charles de Blois n'en eut aucunes nouvelles. Quand ils furent assez près du camp de l'ennemi, ils firent halte pour recevoir les ordres du commandant ; après quoi ils arrivèrent au quartier de Charles de Blois sans avoir passé au Placis-Vert, où l'on avait mis des troupes pour les attendre. La bataille commença environ deux heures avant le jour, le 20 juin de cette année. Les seigneurs de Derval, de Beaumanoir et Robert Arrel, qui étaient chargés de la garde du camp, sont surpris ; on donne l'alarme ; les gardes du camp s'avancent et sont repoussées. Toute l'armée prend avec précipitation les armes, court aux Anglais et fait Thomas Dagorne, leur général, prisonnier. Cependant Charles se met à la tête de ses meilleures troupes, fond avec rapidité sur l'ennemi, fait, pour la seconde fois, prisonnier ce même Thomas Dagorne qui avait été délivré par ses soldats. Le vicomte de Rohan, de Laval et autres, se signalèrent beaucoup en cette occasion. La victoire était encore indécise, lorsque le commandant de la Roche-Derien sortit avec cinq cents hommes d'élite, armés de haches, tomba sur les troupes qui gardaient Dagorne et brisa ses fers , après avoir mis à mort la plus grande partie de ses gardes. Ce fut là le commencement, de la déroule de Charles de Blois. Les Anglais, voyant le désordre de l'ennemi, redoublèrent d'impétuosité et décidèrent la victoire. Les troupes de Charles furent taillées en pièces, et ce malheureux prince eut la douleur de voir périr à ses côtés un grand nombre de ses plus fidèles sujets. Le vicomte de Rohan, les sires de Châteaubriant, de Laval, de Retz, de Mieux, de Machecoul, de Rostrenen, de Lohéac, les seigneurs de Tournemine, du Bois-Boissel et de la Jaille, y perdirent la vie. Charles songea alors à faire sa retraite avec le vicomte de Coetmen et les autres seigneurs qui étaient avec lui; mais les Anglais le poursuivirent, le joignirent et le chargèrent. Il fut entièrement défait; et, voyant qu'il ne pouvait échapper de tomber entre les mains des ennemis, puisqu'il avait reçu dix-huit blessures qui l'avaient totalement affaibli, il demanda s'il n'y avait point là quelque chevalier breton. Tangui du Châtel se présenta , et Charles se rendit à lui. Il fut d'abord conduit au château de la Roche-Derien avec les seigneurs de Beaumanoir, de Laval fils, de la Roche-Bernard, de Derval, de Quintin, Guillaume, fils de ce dernier, et Jean, son frère. Le lendemain, cet illustre prisonnier fut mené à Carhaix, d'où il fut conduit à Quimperlé, puis à Vannes, où il resta un an, et de là en Angleterre.

   Les Anglais qui étaient en garnison à la Roche-Derien ravageaient inhumainement le campagnes des environs. Pierre de Craon et Pierre Dorie, Génois,  profitèrent de la haine qu'avait inspirée au peuple la conduite cruelle de cette garnison, joignirent quelques troupes aux paysans, et attaquèrent avec tant de vivacité la ville et le château de la Roche-Derien, que les assiégés, après une résistance opiniâtre, demandèrent à capituler; mais on leur refusa toute composition , et Pierre de Craon promit 50 écus au soldat qui entrerait le premier dans la place; il mit cette somme dans une bourse, au bout d'une pique, afin que tous les soldats pussent la voir. Cinq braves, poussés par l'espoir du gain, sapèrent la muraille, et en firent tomber cinquante pieds de largeur. Aussitôt un soldat monte
et gagne le prix; ses compagnons le suivent avec intrépidité, et la ville est forcée et pillée. Tous ceux qui s'y trouvèrent furent passés au fil de l'épée, à l'exception de deux cent cinquante nommes de la garnison, qui se sauvèrent dans le château, où ils furent obligés de capituler. Ils obtinrent de sortir vies et bagues sauves. Sylvestre de la Feuillée et un autre gentilhomme breton furent chargés de les conduire à dix lieues de la Roche-Derien, comme le portait la capitulation. Ils prirent le chemin de Quintin, conduits par ces deux gentilshommes. Les paysans, informés de la route qu'ils prenaient, résolurent de s'en venger. Ils s'attroupèrent, les joignirent et en assommèrent une partie. Ceux qui échappèrent à ce péril tombèrent dans un autre qui n'était pas moindre; car, en arrivant à Quintin, les artisans, conduits par quelques bouchers, se jetèrent sur eux et les mirent en pièces, malgré les gentilshommes qui les conduisaient, lesquels firent de vains efforts pour les défendre.

   En 1394, le duc de Bretagne assiégea et prit la ville de la Roche-Derien (2). Le vicomte de Coetmen défendait encore le château, lorsqu'il vint un courrier du roi Charles VI qui ordonnait au duc de Bretagne de quitter les armes, avec assurance que le comte de Penthièvre, à qui ce château appartenait, lui ferait raison. Ce duc ne fit pas cas de ce que le roi lui avait marqué, et le courrier fut obligé de décamper secrètement pour se dérober à la fureur des soldats, qui voulaient le tuer. Le vicomte de Coetmen, forcé de rendre la place, demanda, ainsi que sa garnison, pardon, à genoux, au duc, qui les eût fait mourir comme sujets rebelles, sans l'intercession des seigneurs de sa cour. Ce prince fit démolir le château sur-le-champ.

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1) M. Daru ( t. II, p. 109) a dit à cette occasion que les Bretons, qui trouvaient dans leur langue un nom propre pour désigner chaque peuple, n'en avaient pas d'autre pour désigner les Anglais, qui les pillaient sans cesse, que celui de ar- saos, qu'il traduit par l'ennemi, C'est une grave erreur; Saos, an singulier, et Saozon, au pluriel, signifient littéralement Saxon et Saxons. C'était le nom générique que les Bretons avaient donné aux Anglais; et, de nos jours, Saos et Saozon signifient encore Anglais. Ce nom. est resté parmi eux une injure, comme celui de gallo ou galloed, qui, dans la bouche des Bas-Bretons d'aujourd'hui , est synonyme de brigand, (Voy. Notice de M. Lehuérou. p. 53 de la première partie de ce volume.) M. de Marchangy a dénaturé le mot de ar-saos bien autrement que

(2) Après le siège de Rennes, le duc de Bretagne donna la terre delà Roche-Derrien à Bertrand Duguesclin, et c'est là que Tristan vint le voir.

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A la page consacrée à  Saint-Pern : 

Dans un extrait de la Chambre des comptes de Bretagne, on lit que Bertrand de Saint-Pern, IIè du nom, était, en 1311, gouverneur du château de la Rochederien, place alors très-forte, et qu'il y commandait presque avec une autorité absolue. C'est ce seigneur, dont la famille était dès-lors si distinguée en Bretagne, qui fut le parrain de l'immortel connétable Bertrand du Guesclin. Bertrand de Saint-Pern fut aussi un de ceux qui accompagnèrent Jean, sire de Beaumanoir, dans la célèbre ambassade qui conduisit en Angleterre les enfants de Charles de Blois, pour otages de la rançon de leur père.


   LA ROCHE-DERRIEN (sous l'invocation de sainte Catherine); ville ; cure de 2è classe; chef-lieu de perception. — Limit. : N. le Minihy-Tréguier, rivière le Jaudy; E. et S. Pommerit-Jaudy ; O. Langoat, le Jaudy. — Princip. vill. : Convenant-Kambellec, Bourette, Convenant-Saint Jean, le Poulier, Kerverzot, Convenant-Plapous, Les Grandes-Buttes, Butto-Bihan, Keramon-Bian, Keravel, Keramon, Kernevez, Croas-Cuégan, Convenant-Domminar-Flem , la Villeneuve. — Superf. tot. 183 hect. 02 a., dont les princip. divis. sont : ter. lab. 141; prés et pât. 2 : verg. et jard. 5; landes et incultes 6; sup. des prop. bât. 4; cont. non imp. 25. Const. div. 287; moulin de Kerverzot. > On trouve le nom de cette commune latinisé de deux manières; c'est ou Rupes-Deriani ou Rocha-Derieni (Dom Morice, t. .1, col. 8); enfin l'on a attribué à cette localité le nom de la Roche-Pérein, qui se trouve plusieurs fois dans les romans de chevalerie. La Roche-Pérein est le père d'Amadis, chevalier de la Table-Ronde. Nous ne donnons cette opinion que comme très-douteuse. Le nom de la Roche-Derrien s'orthographiait autrefois (jusqu'en 1450) avec un seul r, et c'était, sans nul doute, l'orthographe rationnelle. (Voy. ci-dessus, dans le texte, la fondation).— Le corps de l'église de la Roche-Derrien date, dit-on, du XIè siècle ; l'aile sud, appelée la chapelle du château, est de 1329, et dans le style ogival. — Outre cette église, il y a les chapelles Sainte-Eutrope, Notre-Dame de Pitié et Saint-Jean; aucune d'elles n'est desservie; la première seule appartient à la commune. — II ne reste plus rien des anciennes fortifications de la Roche-Derrien. Au sud-ouest de la ville existe seulement une élévation où était, dit-on, le donjon ou citadelle. Aujourd'hui il n'y a plus en ce lieu qu'une petite chapelle et un christ outre les deux larrons. — Vis-à-vis, et a 400 m. environ de ce point, est un retranchement entouré de fossés assez profonds, et dont l'enceinte peut avoir environ 55 ares de superficie. — II existe en cette ville une coutume qui vient, sans nul doute, d'un ancien droit féodal. Le lundi de la Pentecôte, quatre hommes, précédés d'un bouffon et d'un cortège armé, portent, tambour battant, un veau tout écorché au village de la Villeneuve, situé à environ 500 mètres de la ville. Le bouffon prononce un discours à sa façon, puis on dépèce l'animal, et on le répartit entre plusieurs familles des environs, appelées a cette distribution. Le samedi après la fête-Dieu, veille d'une des fêtes de la Roche, les mêmes hommes qui ont porté le veau a la Villeneuve dressent sur la place de la Ville une table qu'ils chargent de dessert et de vins; puis ils prennent les armes, et vont à la rencontre des jeunes filles des environs de ce village, qui apportent un énorme pot de lait surmonté d'une couronne de fleurs. Le cortège les conduit à la table; elles partagent le lait entre les jeunes gens, et ceux-ci, après leur avoir fait les honneurs de la collation, les reconduisent triomphalement à la Villeneuve. — Des barques assez fortes remontent le Jaudy jusqu'à la Roche, et il se fait par ce point une faible exportation de grains et d'autres productions du pays. — Il y a quatre petites tanneries, et là se borne presque toute l'industrie de cette localité; aussi le paupérisme est-il tel dans cette ville qu'on n'estime pas a moins de trois cents le nombre des mendiants. — La route départementale n° 1 des Côtes-du-Nord, dite de Saint-Brieuc à Brest, traverse cette ville du sud-est au nord-ouest. — La Roche-Derrien est depuis quelque temps déjà éclairée par des réverbères, avantage inconnu, en Bretagne, dans beaucoup de villes plus importantes. — II y a foire le cinquième vendredi de carême et le dernier vendredi de mai. — Marché le vendredi. — Archéologie : Dom Morice, Preuves, t. I, col. 8 . 43, 71, 92, 93, 95, 115, 639, 640; t. II, col. 5, 16, 18, 21 , 30, 311, 540, 554, 583, 634, 636, 640, 641, 796, 825, 1116,1333. 1418: t. III, col. 318, 408, 409, 1021; Albert de Morlaix, p. 588.  — Géologie : schiste talqueux; ardoisières exploitées et renommées dans les environs. — On parle le breton.

 

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