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Ogée : Dictionnaire historique et géographique de Bretagne (vers 1780) suivi de Marteville et Varin, continuateurs et correcteurs d'Ogée (1843)
Noms des Juridictions et des Maisons nobles qui s'y trouvent. La Roche-Derien, haute, moyenne et basse-justice, à M. le prince de Soubise; Kersaliou, haute, moyenne et basse-justice, à M. de Carcaradec; Kersévéon, moyenne et basse-justice, à M. du Liscouet; Rocumelez, moyenne et basse-justice, au même; Lisle-Loi et annexes. moyenne et basse-justice, au même; Kerengant, Trauhadiou, moyenne et basse-justice, à M... Kerjeuf; Kercabin [est en Ploëzul] , basse-justice, à M. de Kerjeuf de Kerguenech; Kerlieset, moyenne-justice, à N...; Keresse, moyenne-justice, à N...; le Prat-Ledan, basse-justice, à M. de Kerguezec; Trevecart, Lajo, la Villegrignon, Merionet, Bodeuc et le Couedic, sont aussi des maisons nobles. Derien, fils de Henri, comte de Penthièvre, eut en partage la terre et seigneurie de la Roche-Derien , où il fit bâtir, en 1070, un fort château entouré de murailles et de fossés, qu'il nomma de son nom. — Le prieuré de Sainte-Croix fut fondé, l'an 1154, par Dertian, seigneur de la Roche-Derien, qui le donna aux moines de Saint-Melaine de Rennes, qui l'échangèrent, en 1256 , avec celui de la Madelaine de Moncontour, que possédaient alors les chanoines de Sainte-Croix de Guingamp. —En 1218, Eon de la Roche-Derien partit pour la Terre-Sainte, et confia, pendant son absence, l'administration et le gouvernement de ses biens à Geoffroi, vicomte de Rohan. — On voit dans un extrait bien constaté de la Chambre des Comptes que Bertrand de Saint-Pern, IIème du nom, commandait, l'an 1311, avec beaucoup d'autorité , pour le duc Artur II, dans le château de la Roche-Derien, qui était alors une très-forte place*. Jean, Vè du nom, comte de Montfort, épousa, en premières noces, Marie, fille d'Edouard, IIIè du nom, roi d'Angleterre. Cette alliance fut avantageuse au comte, qui reçut toutes sortes de secours du roi son beau-père. Le comte de Northampton vint en Bretagne avec de nombreuses troupes, tant infanterie que cavalerie, pour faire la guerre au parti de Charles de Blois, et attaqua, en 1345, la ville et le château de la Roche-Derien. Les habitants demandèrent un jour pour délibérer sur ce qu'il serait à propos de faire. Ils s'assemblèrent sur-le-champ, et prirent le parti de se défendre. Les Anglais les poussèrent vivement, et parvinrent à brûler une des portes de la ville, au-devant de laquelle il y avait un retranchement. Les assiégés demandèrent encore une suspension d'armes qui leur fut accordée, et envoyèrent Huë Cassiel, commandant de la place, pour traiter avec le général anglais. On convint que les habitants de la Roche-Derien sortiraient, dans un délai de huit jours, vies et bagues sauves, si, dans ce temps, ils n'étaient secourus. Les huit jours expirés, ils rendirent la place aux Anglais, qui y trouvèrent Yves du Bois-Boissel, évêque de Tréguier, et Louis de la Roche, auxquels on donna une escorte pour les accompagner jusqu'à Tréguier. Les Anglais trouvèrent un grand butin dans la ville, avec plus de trois cents tonneaux de vin de France, et treize à quatorze tonneaux de vin d'Espagne, que des marchands espagnols avaient amené dans le port pour le vendre aux habitants. Ils firent d'abord difficulté de le rendre aux Anglais, parce qu'il était dans des vaisseaux ou barques; mais il leur fallut céder à la force supérieure. En 1346, Geoffroi Tournemine, seigneur de la Hunaudaye, qui commandait à Guingamp, ayant appris qu'une partie de la garnison anglaise de la Roche-Derien en était sortie, saisit cette occasion pour aller attaquer la ville; mais le projet fut découvert, et les Anglais prirent si bien leurs mesures qu'ils enfermèrent Tournemine entre eux et la ville, lui tuèrent beaucoup de monde et l'obligèrent de se retirer dans le plus grand désordre jusqu'à Guingamp, qui est à quatre lieues et demie de là (1). L'an 1347, Charles de Blois, à la tête d'environ seize mille hommes de troupes (armée formidable dans ce temps-là), alla attaquer la Roche-Derien. Il commença par distribuer ses quartiers avec beaucoup de prudence. Il en plaça un à l'endroit nommé Le Placis-Vert, poste très-important, avec ordre au commandant de ce poste de ne point l'abandonner, pour quelque cause et sous quelque prétexte que ce fût. Charles fit alors agir ses machines, qui étaient si fortes et si grandes qu'elles jetaient dans la ville des pierres de trois ou quatre cents livres. Une de ces pierres, qui tomba, par hasard, sur la chambre de la femme du commandant, qui venait d'accoucher, épouvanta tellement cette dame qu'elle supplia son mari de capituler. Toute la ville était dans la désolation, toutes les maisons étaient ruinées, et l'on ne croyait pas pouvoir résister long-temps. On envoya vers Charles pour traiter d'un accommodement. Les habitants demandèrent qu'il leur fût permis de sortir vies et bagues sauves; mais le comte, qui avait ses vues, refusa d'entrer en négociation. Il espérait battre le secours que la comtesse de Monfort envoyait aux assiégés. Ceux-ci, qui apprirent qu'une armée venait à leur secours, redoublèrent de résistance et ne tardèrent pas à voir leur espoir rempli. Huit mille hommes d'infanterie et mille de cavalerie, commandés par Thomas Dagorne, Jean de Hartuelle et Tangui du Châtel, arrivèrent par des chemins détournés, et si secrètement que Charles de Blois n'en eut aucunes nouvelles. Quand ils furent assez près du camp de l'ennemi, ils firent halte pour recevoir les ordres du commandant ; après quoi ils arrivèrent au quartier de Charles de Blois sans avoir passé au Placis-Vert, où l'on avait mis des troupes pour les attendre. La bataille commença environ deux heures avant le jour, le 20 juin de cette année. Les seigneurs de Derval, de Beaumanoir et Robert Arrel, qui étaient chargés de la garde du camp, sont surpris ; on donne l'alarme ; les gardes du camp s'avancent et sont repoussées. Toute l'armée prend avec précipitation les armes, court aux Anglais et fait Thomas Dagorne, leur général, prisonnier. Cependant Charles se met à la tête de ses meilleures troupes, fond avec rapidité sur l'ennemi, fait, pour la seconde fois, prisonnier ce même Thomas Dagorne qui avait été délivré par ses soldats. Le vicomte de Rohan, de Laval et autres, se signalèrent beaucoup en cette occasion. La victoire était encore indécise, lorsque le commandant de la Roche-Derien sortit avec cinq cents hommes d'élite, armés de haches, tomba sur les troupes qui gardaient Dagorne et brisa ses fers , après avoir mis à mort la plus grande partie de ses gardes. Ce fut là le commencement, de la déroule de Charles de Blois. Les Anglais, voyant le désordre de l'ennemi, redoublèrent d'impétuosité et décidèrent la victoire. Les troupes de Charles furent taillées en pièces, et ce malheureux prince eut la douleur de voir périr à ses côtés un grand nombre de ses plus fidèles sujets. Le vicomte de Rohan, les sires de Châteaubriant, de Laval, de Retz, de Mieux, de Machecoul, de Rostrenen, de Lohéac, les seigneurs de Tournemine, du Bois-Boissel et de la Jaille, y perdirent la vie. Charles songea alors à faire sa retraite avec le vicomte de Coetmen et les autres seigneurs qui étaient avec lui; mais les Anglais le poursuivirent, le joignirent et le chargèrent. Il fut entièrement défait; et, voyant qu'il ne pouvait échapper de tomber entre les mains des ennemis, puisqu'il avait reçu dix-huit blessures qui l'avaient totalement affaibli, il demanda s'il n'y avait point là quelque chevalier breton. Tangui du Châtel se présenta , et Charles se rendit à lui. Il fut d'abord conduit au château de la Roche-Derien avec les seigneurs de Beaumanoir, de Laval fils, de la Roche-Bernard, de Derval, de Quintin, Guillaume, fils de ce dernier, et Jean, son frère. Le lendemain, cet illustre prisonnier fut mené à Carhaix, d'où il fut conduit à Quimperlé, puis à Vannes, où il resta un an, et de là en Angleterre. Les Anglais qui étaient en garnison à
la Roche-Derien ravageaient inhumainement le campagnes des environs. Pierre de Craon et Pierre
Dorie, Génois, profitèrent de la haine qu'avait inspirée au peuple la conduite cruelle de cette garnison, joignirent quelques troupes aux paysans, et attaquèrent avec tant de vivacité la ville et le château de la Roche-Derien, que les assiégés, après une résistance opiniâtre, demandèrent à capituler; mais on leur refusa toute composition , et Pierre de Craon promit 50 écus au soldat qui entrerait le premier dans la place; il mit cette somme dans une bourse, au bout d'une pique, afin que tous les soldats pussent la voir. Cinq braves, poussés par l'espoir du gain, sapèrent la muraille, et en firent tomber cinquante pieds de largeur. Aussitôt un soldat monte En 1394, le duc de Bretagne assiégea et prit la ville de la Roche-Derien (2). Le vicomte de Coetmen défendait encore le château, lorsqu'il vint un courrier du roi Charles VI qui ordonnait au duc de Bretagne de quitter les armes, avec assurance que le comte de Penthièvre, à qui ce château appartenait, lui ferait raison. Ce duc ne fit pas cas de ce que le roi lui avait marqué, et le courrier fut obligé de décamper secrètement pour se dérober à la fureur des soldats, qui voulaient le tuer. Le vicomte de Coetmen, forcé de rendre la place, demanda, ainsi que sa garnison, pardon, à genoux, au duc, qui les eût fait mourir comme sujets rebelles, sans l'intercession des seigneurs de sa cour. Ce prince fit démolir le château sur-le-champ. ----------------------- 1) M. Daru ( t. II, p. 109) a dit à cette occasion que les Bretons, qui trouvaient dans leur langue un nom propre pour désigner chaque peuple, n'en avaient pas d'autre pour désigner les Anglais, qui les pillaient sans cesse, que celui de ar- saos, qu'il traduit par l'ennemi, C'est une grave erreur; Saos, an singulier, et Saozon, au pluriel, signifient littéralement Saxon et Saxons. C'était le nom générique que les Bretons avaient donné aux Anglais; et, de nos jours, Saos et Saozon signifient encore Anglais. Ce nom. est resté parmi eux une injure, comme celui de gallo ou galloed, qui, dans la bouche des Bas-Bretons d'aujourd'hui , est synonyme de brigand, (Voy. Notice de M. Lehuérou. p. 53 de la première partie de ce volume.) M. de Marchangy a dénaturé le mot de ar-saos bien autrement que (2) Après le siège de Rennes, le duc de Bretagne donna la terre delà Roche-Derrien à Bertrand Duguesclin, et c'est là que Tristan vint le voir. ****** A la page consacrée à Saint-Pern : Dans un extrait de la Chambre des comptes de Bretagne, on lit que Bertrand de Saint-Pern, IIè du nom, était, en 1311, gouverneur du château de la Rochederien, place alors très-forte, et qu'il y commandait presque avec une autorité absolue. C'est ce seigneur, dont la famille était dès-lors si distinguée en Bretagne, qui fut le parrain de l'immortel connétable Bertrand du Guesclin. Bertrand de Saint-Pern fut aussi un de ceux qui accompagnèrent Jean, sire de Beaumanoir, dans la célèbre ambassade qui conduisit en Angleterre les enfants de Charles de Blois, pour otages de la rançon de leur père.
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