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* J.F Brousmiche : Voyage dans le Finistère, en 1829,
1830 et 1831.
pages 171-181 : " De ce bourg (Poullaouen) à Carhaix, la route, celle qui vient de Morlaix, est belle, est bien entretenue, on y voit peu de riches aspects; elle est montueuse, sans que les côtes en soient rapides, excepté celle qui des bords de l'hières qui passe sous Carhaix, conduit directement à l'entrée des rues de cette ville. Carhaix est le Vorganium des anciens; quelques géographes ont voulu en faire la capitale des Ossimiens, mais sans fondement, car le nom d'Ossimor, en en recherchant l'origine dans la langue celto-bretonne, a dû signifier que cette ville était nécessairement située près du rivage; car même en admettant que les débris constatés par les recherches de Monsieur de Kerdanet, soient réellement des restes, des vestiges d'Occismor, ce fait ne détruirait que faiblement l'étymologie du nom donné à cette ville, qui par sa position au lieu indiqué par ce savant antiquaire, se trouverait avoir existé à deux ou trois lieues au plus de la mer; tout conduit donc à prouver que Carhaix n'a jamais pu être l'Occismor de nos vieux historiens. On a aussi prétendu trouver l'origine du nom de Carhaix dans le nom breton de cette ancienne ville qui s'écrit Ker-ahès. On l'a fait ainsi remonter seulement à la princesse Ahès fille du roi Grallon, ce qui n'élèverait pas son ancienneté au-delà du cinquième siècle, puisque Grallon régnait encore sur la Cornouailles vers l'an 450 de notre ère. Quand les Romains inondèrent la Gaule sous César, quand ce grand capitaine, vainqueur des Vénètes soumit à son pouvoir toutes les armoriques, sans nul doute, lui ou ses lieutenants reconnurent l'importance de la position militaire de Carhaix. Là, tout vient attester qu'ils formèrent des établissements; qu'ils y fondèrent une colonie. Si des travaux grandioses, qui sur divers points des provinces Gauloises signalèrent la présence du peuple-roi, ne se voient pas à Carhaix, il existe cependant des traces du passage des Romains en ce lieu, pour attester un fait qui ne fait plus de doute aujourd'hui. Des débris d'acqueducs, de réservoirs, de pilune, se voient à Carhaix; des traces de chemins publics, reconnues comme voies romaines se dirigent sur Nantes, sur la pointe du raz, s'y aperçoivent encore; on en peut facilement suivre la trace : on ne saurait douter que ces divers ouvrages sont l'œuvre du peuple colonisateur, qui soumit à sa puissance le monde alors connu. Une grande quantité de médailles romaines trouvées à Carhaix et dans ses environs, viennent encore rendre témoignage du fait de leur présence dans ce pays. Il est des personnes ayant fait des recherches sur l'histoire du pays celto-breton, qui assignent l'an 435 comme époque de la fondation de Carhaix, et regardent Aétius comme son fondateur. Ce serait encore ici ne faire remonter cette ville qu'à Grallon, chose qui semblerait donner à croire que certains chroniqueurs ont confondu et Aétius et la princesse Ahès. Or l'antiquité de Carhaix doit être plus reculée, tout du moins le fait penser et croire. On peut consulter à ce sujet Latour d'Auvergne Corret, qui né à Carhaix, a donné au public un essai sur la ville et les antiquités du lieu de sa naissance, dans lequel il a discuté tous les points controversés sur la fondation et les fondateurs de cette ville. Il est universalement admis aujourd'hui que Carhaix doit sa naissance aux lieutenants de César qui gouvernaient cette partie de l'armorique. Quand les successeurs de Conan Mériadec s'emparèrent de la Bretagne, que les Romains s'en éloignèrent, Carhaix, on doit le croire, conserva son importance comme point militaire, comme centre d'action d'un pays dont on pouvait être facilement le dominateur par le fait de la possession de cette ville. Aussi voit-on que dans les transactions entre les princes Bretons, Carhaix est souvent donnée comme gage de bonne foi, comme otage entre les contractants; elle est aussi fort souvent promise comme apanage, comme dot, souvent assignée comme douaire de princesses du sang ducal. Nécessairement la ville de Carhaix dut être fortifiée. Néanmoins dans l'histoire du pays on ne commence à la connaître comme place forte qu'à l'époque des dissensions pour la succession de la Bretagne entre Charles de Blois et Jean de Monfort son compétiteur. Cette ville est prise ou reprise cinq fois par les deux parties de 1341 à 1363. En 1347 c'est Monfort qui y commande en maître après la bataille de la Roche-Derrien où de Blois fut fait prisonnier; mais en 1363, Duguesclin s'en empare pour l'adversaire de Monfort, à la suite d'un siège de six semaines, accordant vies et bagues sauves aux assiégés. Certainement qu'à la suite de la bataille d'Auray, où par sa mort Charles de Blois mit fin à la sanglante lutte établie entre les deux princes rivaux, que Carhaix retomba aux mains de Monfort, alors que la Bretagne toute entière reconnut son autorité. Jusqu'à l'époque de la ligue l'histoire est muette sur Carhaix. En 1590, les royalistes n'ayant pu introduire dans Kérouzéré les secours qu'il devenait nécessaire d'y conduire pour empêcher la rédition de ce château qui tenait pour Henri quatre, ne voulant pas perdre le fruit de leur armement, quittèrent les environs de Morlaix et se dirigèrent sur Carhaix; qui mal gardée, fut surprise, pillée, brûlée et rançonnée par eux. A cette même époque Fontenelle s'en empara; il fit de cette ville une de ses places d'armes; il en transforma l'église de Saint Trémeur en citadelle. Ce brigand conserva Carhaix jusqu'au moment où il établit le dépôt de ses rapines sur l'île Tristan qu'il fortifia pour cet objet. Pendant les troubles suscités par les Guises, les paysans des environs de Carhaix se révoltèrent plusieurs fois contre la noblesse; ils se présentèrent devant Carhaix, mais ils furent repoussés. Depuis ce moment, Carhaix est toujours restée calme, paisible; ses fortifications sont anéanties, et rien n'y est debout pour prouver que cette ville fut jadis une place de guerre. Ainsi qu'on vient de le voir, Carhaix fut autrefois une ville forte, et rien n'en porte aujourd'hui le témoignage; nulle trace de ses anciennes fortifications ne s'y fait apercevoir; pas une pierre, pas un débris, pour constater ce fait qui cependant n'est pas douteux après tant de sièges successifs de cette place. Dans les archives même de Carhaix, on ne retrouve rien qui puisse servir de documents à l'histoire de cette ville. Ses habitants paraissent même ignorer de quelle importance elle fut, il y a peu de temps encore et depuis Latour d'Auvergne Corret, je ne sache pas un seul d'eux qui se soit enquis si vraiment Carhaix fut une colonie romaine, si le peuple-roi y établit une légion. Carhaix est située sur la limite des départements des Côtes-du-Nord et du Morbihan; sa position au centre de la basse-bretagne était enviée par tous les partis, aussi dans nos guerres civiles les a-t-on vu se la disputer. Plus tard, cette position même rendit Carhaix l'entrepôt général du commerce de cette partie de la province. Placée à des distances à peu près égales de Vannes, de Saint Brieux, de Brest, les marchands de toute la France affluèrent à ses foires renommées; dans un rayon de trente lieues, on accourait s'y approvisionner des draps de l'Artois, du Languedoc; des soieries de Lyon, de Tours, de Nismes; des cotonnades de la Normandie. Mais la Bretagne n'avait pas alors de grandes routes, et les commis voyageurs étaient ignorés. L'on cherchait le point le plus commode pour les transactions commerciales, Carhaix en réunissait tous les avantages. Depuis que les communications sont devenues multipliées, cette ville a perdu toute son importance; les foires où se faisaient des affaires très importantes, où des capitaux nombreux prenaient de nouvelles directions, sont réduites à rien. Les foires actuelles ne sont que l'ombre de celles qui s'y tenaient il y a soixante ans. L'importance de la ville de Carhaix dans les temps de troubles et de divisions intestines, provenait principalement de son heureuse position sur un plateau élevé qui domine une vaste étendue de pays. Par elle-même la ville de Carhaix fut toujours peu de chose. L'agglomération des maisons, de la population n'y fut jamais considérable: c'est à peine si aujourd'hui Carhaix réunit trois cents maisons et dix-huit cents âmes. Toutes ces maisons couronnent le plateau : elles sont surmontées par les clochers de l'église de Plouguer et de Saint Trémeur; par les bâtiments d'un ancien couvent, transformé en hôpital civil et militaire. Vue de loin grâces à ces grands édifices, Carhaix présente un ensemble de constructions qui lui donnent l'apparence d'une ville bien plus considérable qu'elle ne l'est en effet. Toutes les rues de Carhaix sont obscures, tortueuses, excepté celle des Augustins qui est large, droite et bordée de constructions assez régulières: on remarque dans cette rue les ruines du couvent qui lui a donné son nom. Les bâtiments, le cloître, sont disparus; il ne reste plus que les murs de l'église, qui par ses débris indique une construction du seizième siècle : cette église sert maintenant d'écurie et de grenier à foin. Deux autres maisons religieuses sont encore ruinées, en grande partie abattues. Il existe contre l'abside de la chapelle de l'une d'elles un autel presque complet, d'une construction assez gracieuse, quoique du style papilloté en vogue sous le règne de Louis quinze. Les 4 colonnes de marbre qui servaient à son ornement devraient être enlevées : elles pourraient être employées à la décoration de l'église paroissiale. Maire, adjoints, conseillers municipaux, voient chaque jour se dégrader les stucs, les plâtres de cet autel, et nul ne fait rien, n'entreprend rien pour contribuer à leur conservation. Si vous en parlez à quelqu'un d'eux, on vous répond : c'est une propriété particulière, nous ne pouvons en arrêter la destruction. Il faut hausser les épaules de pitié et se féliciter que de tels barbares n'aient pas à leur disposition des trésors de Raphaël, de Michel-Ange, ils n'en feraient probablement pas plus de cas que des colonnes auxquelles journellement des chevaux sont attachés, de l'autel que des animaux immondes souillent chaque jour de leurs ordures, car l'emplacement de la chapelle à laquelle ils appartiennent, sert maintenant de cour à une auberge. Sans contredit l'édifice le plus grandiose qui se remarque à Carhaix c'est l'église de Saint Trémeur, ancienne collégiale qui date de la fin du quinzième siècle. Une tour carrée, couronnée de quatre clochetons à ses angles, surmonte le portail qui est délicatement travaillé. Les clochetons menacent ruine, comme aussi la partie de l'église qui donne sur la rue du pavé : le lierre qui les enveloppe en partie, qui descend même sur quelques portions de la massive tour, donne à ce monument un charme tout particulier. On regretterait peut-être une restauration qui lui enlèverait tout ce que présente de pittoresque, d'inattendu cette verdure qui décore les fûts légers des légers campanilles et vient se mêler à la galerie sur laquelle ils sont appuyés. A la porte principale de l'église on remarque plusieurs bas-reliefs qui représentent les principaux traits de la vie du Saint dont elle porte le nom. Ces sculptures bizarres sont d'un dessin assez correct. Saint Trémeur, assez ignoré hors de Carhaix, fut, à ce qu'il paraît, un autre Saint-Denis, car on le représente ici, comme l'apôtre des Gaules, portant sa tête entre ses bras. Une singularité, que l'on peut cependant observer dans plusieurs endroits comme ici, c'est que les personnages portent le costume du temps où vivait l'artiste qui les a représentés dans cette œuvre. On voit dans le cimetière une croix assez singulière. Les douze apôtres, joints quatre à quatre, élevés les uns au-dessus des autres en composent l'arbre ou le fût: on la désigne dans le pays sous le nom de croix des apôtres. Carhaix dont les foires étaient anciennement les plus belles entre celles de la Bretagne, ne pouvaient manquer de halles. Ces halles existent encore, mais elles sont mal entretenues, et devaient être trop petites pour la foule des marchands qui abondaient jadis à ces solemnités commerciales. Aujourd'hui les foires de Carhaix sont à peu près nulles. On y trouve des chevaux et du bétail produits du pays, mais le nombre des commerçants qui s'y rendent est excessivement restreint. Quimper, Morlaix, Guingamp sont presque les seules villes qui s'y fassent représenter, et les objets qu'ils y conduisent ne sont que des objets de mode pour habillement et mobilier. Il ne se fait plus à Carhaix de ces échanges, de ces transactions commerciales qui se réalisaient d'une foire à l'autre. L'affluence est cependant très grande aux foires de Carhaix : dans ses rues, sur ses places, une immense population se presse, se coudoie. Le Finistère, le Morbihan, les Côtes-du-Nord, y sont représentés par des habitants de tous les cantons; aussi rien n'est bizarre, original, gracieux comme la diversité des costumes de toute nature qui s'y fait remarquer. Carhaix possède encore un grand nombre de ces maisons anciennes à corniches saillantes, à toits élevés et pointes. Ces corniches plus ou moins couvertes de sculptures, sont supportées par des figures en ronde bosse, bizarres, contournées, grimaçantes, mais pourtant exécutées avec soin, avec talent. Guerriers, prêtres, femmes dans les costumes du temps de la construction de ces maisons, dans les postures les plus originales, les plus singulières, forcent le curieux à reconnaître dans les architectes au sein d'une imagination dévergondée, un caractère d'originalité que nos maisons modernes ne présenteront jamais et qu'elles ne pourront jamais avoir. Il n'existe pas de fontaine publique à Carhaix, mais les puits y sont en grand nombre. On y voit une très jolie promenade, bien plantée, celle nommée le champ de bataille. De cette place la vue est étendue; elle domine en partie les belles prairies qui sont la richesse des campagnes environnant la ville. Six grandes routes aboutissent à Carhaix; elles étaient nécessaires au commerce considérable qui avait son centre dans cette ville au moment où elles furent créées. L'admirable position de Carhaix, environnée de communes qui peuvent voir s'étendre leurs relations, leur prospérité, devrait attirer l'attention du gouvernement. Pour que cette ville fleurisse de nouveau, cette ville auprès de laquelle passe l'Hières que l'on pourrait rendre navigable jusqu'à une demi-lieue seulement de Carhaix, (là) où elle opère sa jonction avec le canal de Nantes à Brest, il ne faudrait qu'y créer une Sous-Préfecture. Les employés des administrations qui seraient la conséquence d'une telle mesure, vivifieraient tout le pays, donneraient de la valeur aux propriétés urbaines, viendraient augmenter les produits agricoles des communes limitrophes. Carhaix ressort de Châteaulin qui en est à douze lieues de distance. Cet arrondissement de Châteaulin, qui se prolonge à dix-huit lieues au-delà, jusqu'à la pointe de Toulinguet, devrait être scindé. En lui retirant les cantons de Carhaix, de Châteauneuf-du-Faou, en y joignant ceux de Gourin, Morbihan et de Rostrenen Cotes-du-Nord, on donnerait un ressort suffisant à l'arrondissement que l'on formerait pour Carhaix, et le démembrement des deux départements contigus serait peu sensible. Cette division bien naturelle arrangerait aussi les habitants des deux cantons réclamés, dont les habitudes et les relations sont toutes à l'avantage de la réunion depuis longtemps sollicitée. Une des gloires de Carhaix, c'est Latour d'Auvergne Corret. Les descendants de Turenne reconnurent son alliance à ce grand capitaine. Latour d'Auvergne n'a pas failli à cette illustration. Sa bravoure éprouvée dans la guerre de l'indépendance américaine, dans celles de notre première révolution, son noble désintéressement, lui valurent de Napoléon qui savait le prix d'un pareil homme et qui l'appréciait à sa valeur, le titre qui s'est éteint avec lui, de premier grenadier des armées françaises ! Latour d'Auvergne mourût au champ d'honneur, sous le fer d'un hullan autrichien à Neubourg. Son cœur était porté à la tête de son régiment; à l'appel de sa compagnie, le capitaine répondait au prononcé de son nom: Mort au champ d'honneur! Fléchier n'eût pas hésité à prononcer l'oraison funèbre de ce second Turenne, qui, comme son modèle, fut brave, courageux, modeste; qui l'égala par son désintéressement, par ses mœurs pures et simples. Latour d'Auvergne ne servit pas seulement son pays par les armes, mais encore par les lettres dont il était un fervent adorateur. Très versé dans les langues anciennes, il partageait toutes ses admirations entre son épée et la langue celtique, qu'il considérait, ainsi que Cambry et le Brigand, ses amis, comme la langue primitive, de laquelle dérive les langues mortes et vivantes. Il soutenait son système par ses écrits, ses origines gauloises écrites dans ce but. Il est aussi l'auteur d'un ouvrage ou essai sur les antiquités de Carhaix sa ville natale. Un trait honore plus Latour d'Auvergne que tous ses écrits. Le Brigand n'avait qu'un fils. En l'an 7 de l'ère républicaine, la conscription l'enlève à son vieux père, dont il était la seule consolation et l'unique appui. Latour d'Auvergne retiré du service depuis plusieurs années, quitte ses habitudes, abandonne ses études et sa plume, reprend les armes, se présente à l'armée du Rhin, remplace le fils de son ami et le renvoie sécher les larmes de son vieux père.. Plutarque ne présente rien de plus admirable que cette abnégation de soi-même, qu'un tel dévouement ! Latour d'Auvergne ajouta de nouveaux lauriers à ceux qu'il avait déjà moissonné; il n'eût pas le bonheur de revoir le Brigand, la mort en fit sa proie sur le champ de bataille. Une inscription indique la modeste maison où naquit cet illustre breton. Par un arrêté des Consuls, l'érection d'un monument à Carhaix, à la mémoire de Latour d'Auvergne fut décrétée. Ce décret ne reçut pas d'exécution. Le conseil municipal de Carhaix vient de le faire revivre, et une souscription est ouverte pour que ce monument s'élève enfin dans h ville qui donna le jour à ce héros, l'honneur de son pays. Carhaix a aussi vu naître l'amiral Emériau, qui siège aujourd'hui à la chambre des pairs; cette ville est encore la patrie de l'acteur Brunet, que Pottier n'a pas fait oublier. Les communes de Plouguer et de Plounévézel entourent Carhaix; l'église de Plouguer même, semble faire partie de la ville. C'est le seul monument à voir dans ces communes : il est ancien et paraît appartenir au style lombard. Cette église couronne un mamelon sec, aride, dont le pied va se baigner dans l'Hières. Tous les environs de Carhaix sont nus, dégarnis de bois, mais ils renferment sur les bords de l'Hières, du Kergoat, dans de profondes vallées, des pâturages excellents, dans lesquels on entretient une immense quantité de bœufs, qui forment la plus grande partie du commerce et des exportations de ce canton. Dans Spézet, dans Motreff, il existe cependant quelques arbres, mais pas de vastes forêts, de taillis très étendus. Le nombre de châteaux anciens, de manoirs y (est) très considérable. Une grande partie des maisons de fermes (ne sont) que des manoirs transformés en maisons de cultivateurs, qui les possédaient presque tous à titre de domaines congéables. Il semblerait, tout même porterait à croire que les alentours de Carhaix furent habités par une nombreuse noblesse. Quand la famille s'augmentait, l'abandon du manoir primitif avait lieu; on en construisait un nouveau pour loger les arrivant à la vie, puis l'on concédait sans doute à des fermiers celui que l'on délaissait. Ce n'est qu'ainsi que l'on peut expliquer la quantité de belles et vastes maisons qui servent ici au logement des cultivateurs. Dans ces derniers temps, presque tous ont été congédiés des droits réparatoires par les propriétaires fonciers, qui après le congément, ont exigé des fermages, évidemment hors de proportion avec les produits que l'on peut retirer des terres, généralement peu profondes, légères, ne produisant que du seigle et de l'orge; le froment étant presque une rareté dans ce canton. Tous les habitants des environs de Carhaix sont à l'ordinaire habillés en toile ou en berlinge, les dimanches et les fêtes exceptés, où ils se couvrent de vêtement en laine. Il se trouve des costumes fort élégants dans le nombre de ceux qui varient les habillements dans le pays, principalement dans ceux des femmes, dont un grand nombre portent des fichus et des mouchoirs brodés, garnis de dentelle. L'arrangement des femmes de Poullaouën en costume de deuil est plein de goût, d'élégance et de luxe. Les croyances religieuses sont encore vivantes dans toutes les campagnes. On y croit à la vertu des fontaines privilégiées; on y place les bestiaux sous l'invocation du saint qui les couvre de leur protection, toutes les rêveries superstitieuses et mystiques sont des articles de foi. La crédulité est portée au point d'avoir la plus entière confiance aux sorciers qui guérissent de tous les maux, qui président l'avenir, qui font découvrir les trésors, car les trésors jouent encore un grand rôle dans l'imagination de nos bons campagnards. Il n'est pas un Menhir, pas un Dolmen, qui sous leurs pierres n'en recèlent, mais il faut soulever ces pierres avant l'heure de minuit, s'emparer du dépôt qu'elles recouvrent avant l'heure fatale ou devenir la proie du malin génie qui en a la garde. Vainement dans leurs prédications les ecclésiastiques veulent ou tentent de déraciner chez eux ce goût, ce prestige pour le merveilleux, ces grands enfants sont sourds à leurs exhortations; elles sont à peine écoulées, elles restent sans fruit. Du reste toute leur crédulité est de bonne foi et l'on se demande souvent s'il n'y a pas une sorte de cruauté à vouloir les en désabuser. Sans être d'une taille très élevée, les habitants des environs de Carhaix sont bien pris, sont forts et robustes. Ils respirent dans leurs montagnes un air pur, favorable à la santé. Des eaux claires et limpides arrosent leurs maisons, fertilisent les nombreuses prairies qu'ils renferment. Les maisons plus vastes, mieux aérées que dans d'autres parties du finistère, augmentent le bien être moral du cultivateur qui naturellement influe sur son physique. Tous sont des soldats soumis à la discipline, mais malgré les agréments que leur procure la vie militaire, tous, aussitôt qu'ils ont rempli sous les drapeaux le temps de service que la loi exige d'eux, regagnent leurs chaumières, reprennent la vie agricole, laissent croître leurs longs cheveux. On reconnaît cependant avec facilité le paysan qui a servi dans les rangs de l'armée, à son air fier, à sa démarche assurée, à l'accent bref de sa voix, encore plus à sa politesse envers les étrangers. Il a perdu sa sauvagerie primitive, sans cependant rien perdre des qualités qui distinguent nos campagnards. Pour un breton, le premier des pays c'est la Bretagne : pour lui la patrie est le misérable village qui l'a vu naître, et chacun d'eux veut mêler ses cendres aux cendres de ses pères. Ce culte des morts, cette religion de la tombe, est un trait distinctif des enfants de l'Armorique. Les femmes sont d'une taille médiocre, mais il en est de bien prises, dont les traits présentent un ensemble régulier. Elles ont les dents et les yeux assez beaux. Les formes du corps sont presque toujours lourdes, épaisses; les jambes et les mains sans grâce, mais fort souvent le tout disparaît sous l'élégance et la fraîcheur d'un costume agaçant, pittoresque; fort souvent encore la carnation la plus pure vient embellir la femme qui porte cet avantageux costume : malheureusement, quelquefois aussi, cette beauté de coloris est le résultat de maladies scrophuleuses trop communes dans notre pays de montagne, maladies auxquelles les habitants sont tellement accoutumés qu'ils n'y portent aucune attention, et qu'ils ne songent seulement pas aux moyens qu'ils pourraient employer pour les rendre moins communes et peut être même pour les anéantir. Une sorte de fatalisme semble conduire le bas-breton dans les actes qui ont sa santé pour but. Il s'en remet à la providence pour la guérison de ses infirmités; il les trouve toutes naturelles, et la gale qu'il serait peut-être facile d'extirper de nos hameaux, se transmet héréditairement des pères aux enfants. C'est la santé, disent-ils, que cette humeur cutanée; le sang se purifie dans cette éruption. Offrez-lui des moyens de guérison, il vous répondra qu'il ne faut pas tenter Dieu. Il y a quelque chose de grand sans doute dans cette aveugle confiance en la divinité que témoigne l'habitant de nos campagnes, mais il s'y trouve aussi de l'insouciance, une espèce de barbarie, alors qu'il refuse de soustraire ses enfants à un mal qui se perpétue sans cesse et qu'un peu de propreté verrait totalement détruire et disparaître. On fait foule dans les églises les' jours consacrés aux cérémonies religieuses, plus que dans d'autres portions du Finistère; ici l'on célèbre toutes les fêtes supprimées par le concordat de 1801. Vainement les curés préviennent-ils leurs paroissiens qu'il n'existe pour eux aucune obligation de se soustraire à leurs travaux journaliers, que c'est simplement faire acte de piété que de se rendre ces jours-là aux offices, ils sont sourds à ces avertissements, ils chômeraient au besoin tous les Saints du Calendrier. Aux jours de fêtes que le cultivateur conserve, lui, bon gré, malgré, si l'on ajoute ceux qu'ils perdent dans les foires et les marchés, qui sont ainsi que je l'ai, je crois, déjà remarqué, beaucoup trop multipliés dans le département, on ne laisse pas que d'être surpris quand on y voit encore autant de terres labourées, surtout alors que l'on voit le paysan près de Carhaix lâche, mou, indolent dans les travaux de l'agriculture. Il travaille sans doute, mais avec une nonchalance qui lui est particulière; il semble qu'il conduit sa charrue; qu'il bêche son champ seulement parce que le produit qu'il doit en retirer le fera vivre; il a la force requise pour son rude et pénible labeur, mais cette force paraît inerte chez lui. Il a l'air de jouir avec volupté du repos qu'il prend au soleil; le dos appuyé sur le fossé, il fume paisiblement sa pipe, il passe ainsi une grande partie du jour. L'on se persuade qu'il y aurait bien moins de terres en friche, si les paysans de ce canton abandonnaient la paresse qui paraît être leur partage; s'ils ne perdaient pas bénévolement tant de jours de travail par un sentiment de piété mal entendu; s'ils n'en consommaient pas tant d'autres dans les réunions commerciales par un désir de gain qui n'est pas toujours réalisé, car leurs bestiaux sont exposés vingt fois en vente, avant qu'il se trouve pour eux des acheteurs. Si les paysans de Carhaix se livrent aux pratiques d'une minutieuse dévotion, ils aiment aussi le plaisir avec ardeur. Les luttes, la danse sont au nombre des amusements qu'ils chérissent. On danse au chant, au Bigniou; le hautbois est aussi au nombre de leurs instruments favoris. Aux foires de Carhaix, les places, surtout celle du champ-de-batailles, sont couvertes d'une immense quantité de personnes qui se livrent à cette marque extérieure de gaîté : les femmes surtout s'y abandonnent avec une espèce de fureur; le Jabadao, le Passe-pied sont les danses les plus en vogue. On rirait de la mine un peu coquette des danseuses, jetant à la dérobée un coup d'œil en-dessous sur les cavaliers qui les conduisent, on rirait, dis-je, si là se bornaient leurs paisibles amusements. Par malheur le cabaret, le café borgne est près des danseurs. Hommes et femmes s'y précipitent, y commettent des actes nuisibles à leur santé, et souvent de perfides lovelaces, séducteurs en guêtres, en vestes rondes, triomphant pour quelques verres de liqueur, d'innocentes villageoises qui laissent leur pudeur dans le vin, et qui bientôt corrompues, en haine à des familles qu'elles déshonorent, viennent se plonger dans le bourbier des villes, se vautrer dans la crapule, mourir dans les hôpitaux. L'ivrognerie; ce vice inhérent à notre bon pays, existe ici comme partout. C'est avec du cidre, car les environs de Carhaix en produisent en assez grande quantité, que le paysan s'enivre. On le vend à très bas prix, ce qui leur permet d'en boire considérablement. Cette boisson prise immodérément porte au cerveau, l'exaspère, l'exalte, et rend souvent furieux : aussi les rixes sont-elles communes au cabaret, et souvent les buveurs le transforment en arène; heureux quand, après avoir brisé les pots, ils s'endorment sur la table ou se vautrent dessous. L'influence toute puissante du clergé n'a pas eu jusqu'à ce jour un empire suffisant sur le bas-breton, pour le conduire à n'user que sagement des boissons spiritueuses. Vainement le prêtre lui montre l'ivrognerie le conduisant à l'abandon de son travail, à la ruine de son ménage, vainement lui peint-il sa femme, ses enfants malheureux par son inconduite; vainement lui montre-t-il la mort le prenant dans un état d'ivresse, le privant alors des dernières prières de l'église; son passage du cabaret au bras de Lucifer, après le jugement du Dieu terrible et vengeur! Rien n'y fait: touché un instant il prendra de belles résolutions, mais ces résolutions ne tiendront pas à l'aspect d'une auberge. C'est vraiment le bas-breton qui a donné lieu au proverbe : qui a bu, boira. Quoique dégarni de bois, le pays qui environne Carhaix, n'est pas sans offrir quelques campagnes agréables, placées dans des sites avantageux. On peut voir, non loin de cette ville, le vieux château du Ty-meur, dont les tourelles, les donjons, les antiques murailles, tranchent sur les arbres qui l'entourent encore, malgré qu'une grande partie des bois de cette belle propriété soient abattus. Il faut pourtant se hâter si l'on veut voir cet ancien manoir; bientôt il n'existera plus, bientôt va disparaître cette vieille, massive et pittoresque construction. La fureur de détruire se glisse partout dans notre Finistère; il semblerait que les niveleurs s'attachassent à anéantir toutes les pages du livre des anciens temps. Avant peu on n'y verra plus de traces de ces demeures vastes, grandioses qui témoignaient que notre province n'était pas tout entière aussi barbare que l'on veut bien se l'imaginer. Ne serait-ce que comme objets de comparaison, l'on devrait au moins en conserver quelques unes. Les acquéreurs de ces propriétés ne voient en elles que des pierres et du bois à transformer en écus; tout pour eux se borne à calculer ce qu'ils peuvent retirer de leur assolement, et, s'ils y entrevoient le plus léger bénéfice, la hache et le marteau font dans vingt quatre heures, plus de ravages que le temps n'en produit en plusieurs siècles. Il y a du vandalisme qui fait mal à voir commettre de tels actes de propriété, mais le code civil est là; on peut user et abuser de son bien alors qu'on ne nuit pas à autrui. La ruine, la destruction des monuments marche grand train: quelques années encore, et sur le sol du Finistère, il ne restera debout que quelques édifices religieux comme témoignage du génie de nos pères, encore si les communes sont assez riches pour les entretenir, pour les réparer, autrement ils seront vendus à des barbares nouveaux, qui de leurs débris élèveront des temples comme on sait en faire aujourd'hui, temples où rien n'imprime le respect, ou ne fait naître une sensation religieuse; où les jours abondent; où les murailles nues font en même temps mal et pitié. Qui nous rendra la pensée inspiratrice de nos aïeux ? Eux seuls ont compris la demeure de Dieu : c'est dans leurs basiliques que la prière arrive du cœur jusqu'aux lèvres, que l'on est ému jusqu'aux entrailles, alors qu'une lueur douteuse circule autour de leurs gigantesques piliers, se reflète sur les arceaux, sur les ogives si pures, sur les galeries trefflées qui les ornent et les décorent. On peut encore voir près de Carhaix la belle maison moderne de Kérampuil, celle de Prévasy, qui sont situées dans de frais vallons, que quelques arbres ombragent. Le manoir de Brunollo, peu distant de ces derniers, a de plus qu'eux l'avantage de posséder de très beaux bois, et d'être situé près du canal de Nantes à Brest. Nulle industrie ne se remarque à Carhaix, aucune manufacture n'y est établie. Sur les cours d'eaux pourraient s'élever des papeteries, des minoteries; les ruisseaux, les rivières coulent tristes et silencieux; au petit Carhaix, seulement, sur les bords de l'Hières, on rencontre quelques tanneries, dont les produits sont de médiocre qualité; ils se consomment dans le pays. |